Pour la première fois depuis bien longtemps, un roman d'Erri de Luca paraît à la rentrée quand les lecteurs français sont plutôt familiers de rendez-vous printaniers. Tour à tour judiciaire et épistolaire, Impossible est un récit où la montagne, grande affaire de l'écrivain alpiniste italien, joue une nouvelle fois les premiers rôles. Une histoire de face-à-face, à double voix, confrontant un magistrat et un inculpé, passé et présent. Qui entrelace engagement politique générationnel et liens affectifs, pulsions individuelles et responsabilité collective, justice et loyauté.
Un jeune magistrat interroge un ancien militant révolutionnaire des années 1970 qui a plus du double de son âge, qu'il soupçonne d'avoir camouflé en accident un homicide avec préméditation, d'avoir en représailles tardives précipité dans le vide sur un étroit sentier peu fréquenté des Dolomites un ami de jeunesse qui avait conduit à son arrestation quarante ans plus tôt. L'un a été retrouvé sans vie dans les éboulis. L'autre a prévenu les secours. Celui qui nie toute implication est le trahi. Le mort, le délateur, un « collaborateur de justice », son traître. Pour le juge d'instruction, un tel hasard est improbable et la coïncidence qui a fait se croiser ces deux ex-camarades de lutte, sur une « vire » entre ravin et paroi, est impossible. Pour lui, le mobile ne fait aucun doute et il cherche avant tout à valider sa version d'un « duel sur la vire », comme ironise son suspect qui, entre deux interrogatoires, est incarcéré.
De sa cellule d'isolement, dans « l'intimité des mètres verrouillés », il écrit à une femme qu'il aime des lettres qu'il n'enverra pas (c'est leur pacte). Des lettres intenses à cœur ouvert - « j'ai envie de t'écrire des choses que je n'exprimerais pas tout haut » . Tandis que dans le bureau du magistrat, le jeu biaisé des questions-réponses se transforme peu à peu en débat improvisé, en joute idéologique de vocabulaire. Vengeance, désaveu, repentance, mépris, victime, fraternité, différence entre égalité et équivalence..., le vieux mis en examen oppose à travers le sens des mots sa vision du monde à celle de son jeune accusateur. « Impossible, c'est la définition d'un événement jusqu'au moment où il se produit. » Mais comme dans tous les livres d'Erri de Luca, on ne trouvera pas de résolution définitive, une morale univoque. Car de même que le sommet n'est jamais le but, en montagne, le grimpeur ne gagne jamais rien. Les hommes passent, seule la montagne reste.
Impossible - Traduit de l'italien par Danièle Valin
Gallimard
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 16,50 euros ; 176 p.
ISBN: 9782072860829