Gonçalo M. Tavares est un ambitieux tranquille, un audacieux placide. Le lauréat du Meilleur livre étranger 2010 avec Apprendre à prier à l'ère de la technique, dont le roman Jérusalem sort en Points début octobre, a déjà prouvé qu'il ne craignait pas les références. Mieux, qu'il savait se frayer un chemin singulier en empruntant des voies largement ouvertes. Avec Un voyage en Inde, il actualise et déroute un classique de la littérature portugaise, Les Lusiades de son compatriote Luis de Camoes, en réinventant le voyage de Vasco de Gama. En 2003, son antihéros, Bloom, quitte Lisbonne ou plutôt fuit. L'itinéraire, indirect, passe par Londres et Paris. L'avion a remplacé le bateau. Il mettra des mois avant d'atteindre son but, l'Inde, où la nuit est "robuste", la nourriture d'Anish qui l'accueille chez lui "tranquille", et où "le Gange est la plus grande bibliothèque".
C'est donc une épopée, mais une épopée à laquelle on aurait enlevé presque tous les attributs du genre. Une odyssée du XIXe siècle à l'image de l'époque, individuelle, solitaire. Sans élan, faite de péripéties tragico-burlesques dérisoires. Ordinaire comme Bloom. C'est un voyage initiatique vers un fantasme d'Orient. Une archétypale quête spirituelle d'Occidental matérialiste. Bloom cherche la sagesse et l'oubli, "une joie nouvelle", il ne trouvera que l'ennui sans parvenir à se débarrasser de la mélancolie, tenace comme une tique.
Roman en fragments, en dix chants et 1 102 strophes comme son illustre >modèle, le livre de Tavares déroule des vers qui n'en sont pas vraiment, des aphorismes profonds et légers, des vérités aussi définitives que relatives. Ce Voyage en Inde, en dépit de toutes les influences sur lesquelles il navigue, a sa tessiture et son rythme propres et ne ressemble à rien d'autre que du grand Tavares.