3 octobre > Récits France

L’art français de la guerre embrassait l’histoire de la colonisation française et une réflexion sur l’absurde de l’héroïsme, cet ambitieux premier roman ayant valu à son auteur, un professeur de biologie de Lyon, le prix Goncourt en 2011. Aujourd’hui, Alexis Jenni revient en littérature par la porte dérobée de l’anecdote, cinquante petites proses comme autant d’images d’enfance, d’aventures minuscules ou d’épiphanies précaires qui jalonnent une carrière humaine. Elucidations a quelque chose du livre des aubes : première vision, premier mot, premier émoi, premiers poils qui vous poussent et vous transpercent la peau… « Chat », élocution primitive et incomprise de sa mère qui se trouvait là, le narrateur se rappelle cette parole prononcée de sa chaise haute à la vue d’un félin qui filait dans la pièce. L’intime a sa topographie. Et les paysages de se déployer pas tant avec l’exactitude du géomètre qu’avec la sensibilité de l’arpenteur de souvenirs. La région lyonnaise, la Saône, la colline de la Croix-Rousse, mais aussi Batna, où le père du narrateur en poste comme professeur de lycée en pleine guerre d’Algérie, défiant la « grève générale des Européens », était allé travailler, ce lac où le jeune Alexis apprit à nager, où avec la régularité des saisons sa famille allait pique-niquer. Charnelle mémoire des lieux - village de pierre près de l’eau sis au milieu d’une incandescente verdure : « Cet endroit avait les propriétés de la colle et du sucre. Il m’embarrassait tout en me nourrissant de délices. Je m’en arrachai avec peine. »

Les courts récits d’Elucidations forment un tout d’une douce cohérence… Les figures parentales y apparaissent tels des génies tutélaires présidant à la sensibilité de ces pages. Lumière d’un bonheur qui s’imprime à jamais dans la rétine : « Dans la cuisine en plein été, ma mère à contre-jour flambait. Je me sentis brûler. » Aveux cocasses (« La terreur des escargots ») ou questionnements singuliers sur l’autorité ou son propre patronyme, le texte est bien sûr traversé d’art (Georges de La Tour, Lorenzo Lotto) et d’expériences de lecture, romans de gare compris, il est surtout un hommage à l’immanence qui nous étreint et nous fuit, une caresse du vivant. Un livre sur ce que l’on transmet : « J’enseigne à mon tour ce que j’ai appris moi-même. Ce qui n’est plus est juste sous nos pieds. » Sean J. Rose

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