Etonnants voyageurs Brazza : Qui sont les acteurs locaux du livre?

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Etonnants voyageurs Brazza : Qui sont les acteurs locaux du livre?

Le festival pose ses valises dans un pays sans chaîne du livre, où la lecture publique est quasi-inexistante.

Par Anne-Laure Walter
avec alw, à brazzaville Créé le 15.04.2015 à 21h00

On peut traverser tout Brazzaville à bord d'un des innombrables taxis verts du pays - il faut pour cela s'armer de patience car les embouteillages y sont phénoménaux et les routes parsemées de crevasses - sans jamais apercevoir une librairie ni même des bouquinistes vendant quelques exemplaires à la sauvette à même le sol.

Le Congo où le festival Etonnants voyageurs a choisi de faire escale du 13 au 18 février n'a pas développé de marché du livre à proprement parler ni de politique de lecture publique. « Le livre n'est pas disponible au Congo » affirme une des jeunes congolaises qui travaillent pour le festival.

Visite surprise présidentielle

Dans l'immense Palais des Congrès de Brazza où se tient une partie des rencontres, le public est clairsemé en dehors des scolaires. Il faut dire que les grandes grilles qui enserrent ce bâtiment hérité de l'époque communiste ainsi que les gardes qui filtrent les allers-venues ne sont pas une invitation à entrer. D'autant plus quand le président de la République Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis 1979 et mouillé dans l'affaire des biens mal acquis en France, s'offre une petite visite surprise vendredi 15 février. Ce dernier fait une escale devant les livres proposés à la vente, un stand géré par l'une des rares librairies de la ville, Les Dépêches de Brazzaville.

Ses locaux sont depuis sa création en 2007 au rez-de-chaussée du journal du même nom auquel appartient la librairie, le seul quotidien national qui est détenu par Jean-Paul Pigasse (l'oncle de Matthieu Pigasse, actionnaire du groupe Le Monde et propriétaire du magazine Les Inrockuptibles). En plein coeur du quartier populaire de Poto-Poto, en face de ce qui a tout l'air d'un bordel baptisé Fantasm House, le magasin climatisé présente dans trois vastes pièces des livres des congolais Henri Lopès (au programme du bac) Alain Mabanckou ou Emmanuel Dongala, une belle collection de « SAS » de Gérard De Villiers, des essais, un large rayon spiritualité et développement personnel mais surtout beaucoup de livres scolaires ou universitaires. L'un des quatre vendeurs nous explique qu'il milite le stock et fonctionne plutôt « sur commande ». Quasiment tous les ouvrages sont importés de France, au prix légèrement supérieur à ceux de l'Hexagone. Or, le Smic congolais est de 145 euros et plus de 40% de la population est sans emploi.

Entre deux coupures de courant

Parmi les couvertures familières tout lecteur français, certaines se démarquent, celles des éditions Hémar. Créées en 1990 par Mukala Kadima-Nzuji, elles ont mis en sommeil pendant dix ans les publications en raison des guerres civiles. Ce n'est qu'en 2000 que la production reprend avec régularité. Aujourd'hui, le professeur de littérature francophone à l'université Marien-Ngouabi publie un livre par mois, imprimé en Belgique faute d'imprimeurs de qualité dans le pays, et les tirages moyenne avoisinne les 1 000 exemplaires. « Mes étudiants me faisaient lire de très bons manuscrits qui laissaient indifférents les éditeurs français et belges. Les structures du livre étant inexistante en Afrique centrale, je me suis lancé avec trois autres amis, raconte, entre deux coupures de courant, celui qui a fait ses armes d'éditeur chez Présence africaine. Au départ nous faisons beaucoup de fiction mais aujourd'hui le public est plus demandeur d'essais. L'heure n'est pas à l'évasion, les gens se posent des questions et les réponses quand ils ne les trouvent pas dans la Bible, ils les trouvent dans les essais ! »

Le nerf de la guerre est d'arriver au lecteur. « Nous nous battons pour créer une chaîne du livre. IL existe des distributeurs de cigarettes ou de bières mais aucun homme d'affaire n'a tenté de se mettre à la distribution du livre ! » Alors pour toucher ses lecteurs il fait du porte à porte, met des titres en dépôts dans les quelques librairies comme la Coupole, les Dépêches ou dans des papeteries. Il existe bien une autre librairie qui jouxte les éditions, La cité d'Hermès, dirigée par Guyane Tsono mais elle est exclusivement ésotérique avec un large fond maçonnique. Il n'y a pas de bibliothèques hormis celle de l'institut français. Alors pour élargir son lectorat, Mukala Kadima-Nzuji a un diffuseur en France, l'Harmattan.

Des livres spécifiques pour le pays

L'Harmattan a d'ailleurs monté une antenne à Brazza en 2009 « dans le souci de se rapprocher des auteurs », explique le responsable Jackson Darius Mackiozy Bansima, qui a édité à ce jour 31 ouvrages. Les auteurs sont recrutés sur place, certains paient pour la mise en page, d'autres donnent l'ouvrage clé en main sur disquette, et tous s'engagent à acheter 50 exemplaires du tirage. Tous les manuscrits transitent par le siège parisien.

C'est aussi par Paris que passe le marché du livre scolaire que se disputent ardemment dans les pays d'Afrique, Hachette, Interforum et Belin, arrivé il y a cinq ans sur le marché de l'international. Michel Levenez en est le directeur international après 20 ans chez Hatier international. « On essaie de vendre mieux les livres français mais surtout de créer des livres spécifiques pour le pays », précise-t-il. Il vient de lancer avec l'INRAP (institut en charge de la recherche pédagogique au Congo) cinq titres sur la prévention du Sida pour les scolaires du CP au lycée. 600 000 volumes ont été achetés par le gouvernement pour les élèves, soit un livre pour deux élèves. Pour beaucoup ce sera malheureusement un des rares contacts avec le livre dans leur vie...

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