Bonnes résolutions de janvier : je reprends ce blog. D’autant plus que mon roman commence à desserrer son étreinte, en même temps qu’arrive ce moment toujours déchirant où l’on est contraint de se dire : Voilà. C’était ça, ton livre. Rien de plus. Et rien d’autre… Enfin bref. Et l’année commence par une pétition, que l’on me propose de signer, en faveur de Gérard Mordillat, attaqué en justice par le ministre Eric Besson pour avoir parlé d’un « ministère du racisme et de la xénophobie », et ajouté ce commentaire : « M. Besson pourrait mettre à son Panthéon l’ignoble phrase de Brasillach qui disait: "Il faut se séparer des Juifs en bloc et ne pas oublier les petits" ». Bon. J’ai signé, par principe, parce que je n’aime pas qu’on attaque ainsi des confrères, même quand je ne suis pas d’accord avec ce qu’ils ont dit ou écrit ; et parce qu’un tel comportement me semble parfaitement indigne d’un dirigeant politique en exercice (mais c’est à M. Besson de s’arranger avec sa dignité). J’ai signé, mais sans joie. Quand on n’a plus devant les yeux que le choc de deux formes de la bêtise, cela devient décourageant. J’avais déjà ressenti plus que de l’agacement lorsqu’à l’automne, le déplorable député Raoult, fatigué sans doute de l’obscurité où ses maîtres le laissaient croupir, crut se faire de la publicité en contestant le droit de Marie N’Diaye à dire ce qu’elle voulait du gouvernement de notre pays. Cette bêtise-là fut largement condamnée, et tant mieux. Hélas ! Les voix furent moins nombreuses à dénoncer la connerie symétrique. Moi, je n’ai pas trouvé plus tolérable de voir à cette occasion Les Inrocks titrer sur la « résistance » ; le magazine du millionnaire M. Pigasse, haut dignitaire de la banque Lazard, un îlot de « résistance » !... Je rêve ! De même ai-je trouvé aussi fort désolant de découvrir, dans un communiqué de la SGDL et de l’ATLF, légitime en son principe, la référence aux « heures noires de notre histoire ». Disons-le, je ne peux plus supporter cette perpétuelle invocation du nazisme, du pétainisme et de la Shoah par des gens qui se disent de gauche et qui se croient malins. D’abord, elle est obscène ; et ensuite elle est fausse. Elle est obscène. La tragédie vécue par les juifs n’a pas à être galvaudée à propos de n’importe quoi, pour se faire plaisir à bon compte avec sa belle petite indignation. Pas plus que le mot de résistance, qui signifia, pour des gens héroïques, le risque permanent de la torture et de la mort. On peut faire de l’opposition, aujourd’hui, en France. J’en fais, à ma modeste mesure, dans les colonnes de L’Huma . Mais je tiens que personne n’a le droit de se targuer d’une quelconque « résistance ». « Y avait pas beaucoup de Jean Moulin », notait Renaud dans une chanson mémorable ( Hexagone ). Je n’en rencontre pas beaucoup non plus aujourd’hui sur la rive gauche. Secundo, cette référence est fausse. Il n’y a pas de commune mesure entre l’atroce gouvernement de Vichy, qui au moyen d’une propagande ignoble décréta les juifs racialement nuisibles, avant de les livrer sans défense à la barbarie nazie, et les politiques d’immigration de gouvernements démocratiquement élus dans l’Union européenne. Ça n’a rien à voir, à aucun point de vue. Ces politiques, on peut les contester, les dénoncer. Je l’ai fait moi-même, je l’ai écrit, je l’ai publié. Prétendre en rendre compte par une assimilation sommaire et lyrique à la politique nazie ou collaborationniste, revient à s’interdire de penser ce qu’il y a sous nos yeux, et de le penser dans ce que cela a, précisément, de spécifique et de radicalement nouveau ; autrement dit, de le penser, tout court. Je dis que cette pensée facile est une pensée gâteuse. Le mot pensée est d’ailleurs de trop. Perplexe également devant l’étrange duel qui perdure, deux ans après les faits, et par livres interposés, entre Camille Laurens et Marie Darrieussecq. Bon, d’après ce que je sais, il me semble que la seconde a été l’agressée. Mais je ne vois pas que son concept de « plagiomnie » soit plus compréhensible que l’invraisemblable « plagiat psychique » de l’autre. Et chacune de brandir l’incoercible douleur que leur a causée ce crêpage de chignons, et d’occuper la presse littéraire avec ce spectacle. Ça les aide à exister, ou quoi ? On serait tenté de dire à ces estimables consœurs qu’elles auraient mieux à faire, l’une et l’autre. Mais peut-être pas, après tout.