Avant-critique Poésie

Eugène Guillevic, "Proses ou Boire dans le secret des grottes" et "Sonnets" (Gallimard)

Eugène Guillevic - Photo © Jacques Robert/Gallimard 

Eugène Guillevic, "Proses ou Boire dans le secret des grottes" et "Sonnets" (Gallimard)

La voix du poète Eugène Guillevic résonne dans deux nouveaux recueils posthumes largement inédits.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 15.02.2023 à 09h00

Guillevic, à nouveau. Eugène Guillevic (1907-1997), en poésie simplement Guillevic, avec ce côté monolithique, menhir, venu de son Carnac natal, est l'un des plus grands poètes du XXe siècle, révélé en 1942 avec son premier recueil, Terraqué, salué par Paul Éluard et quelques autres. Toute son œuvre, une trentaine de volumes sans compter les livres pour la jeunesse, est marquée par une tentation de l'épure. Les titres sont brefs − Carnac, Sphère, Étier ou Maintenant −, les poèmes dépouillés, comme des stèles de granit.

Mais ça n'a pas toujours été le cas, ainsi qu'en témoigne un premier ouvrage posthume, Proses, composé de textes parus en revues ou chez de tout petits éditeurs.

Datés des années 1935-1943, très personnels, on y sent l'angoisse de la guerre qui vient : « Ce sera bientôt la nuit », durant laquelle Eugène Guillevic, fonctionnaire au ministère de l'Économie, s'engagea dans la Résistance en même temps qu'au Parti communiste, où il demeura jusqu'à la rupture définitive de 1980. Le recueil comporte aussi, à la suite, des textes écrits pour Jean Follain, son ami de trente-cinq ans mort en 1971 dans un stupide accident de la circulation. Un Normand dont le Breton salue « l'esprit d'enfance », l'élégance, et aussi les colères homériques.

Sonnets est encore plus intéressant. On y trouve d'abord, écrits en pleine guerre froide, les 31 sonnets publiés en 1954, sans la longue préface d'Aragon qui les plombait un peu. Il s'agit néanmoins d'un bréviaire de foi communiste, dans un style parlé, prosaïque presque, qui suscita des réactions négatives de certains des amis du poète, dont Jean Tortel. Guillevic lui répond en 1955 dans quatorze autres sonnets martelés : « Or, Marx, Engels, Lénine et Staline ont prouvé. » « Poésie de circonstance », se défendra-t-il plus tard.

Il ne cessera pas, en revanche, d'écrire des sonnets, dans une sorte de gymnastique poétique, jusque dans les années 1980. L'un d'entre eux, en particulier, « Écrire », est une petite merveille post-verlainienne : « Vous me lirez peut-être un jour, vous serez deux. »

Vingt-cinq ans après sa mort, grâce à la ténacité de son épouse Lucie Albertini, la voix unique de Guillevic résonne à nouveau, malgré. C'est le titre qu'il avait prévu pour un recueil de sonnets abandonné, et qui lui ressemble tellement.

Eugène Guillevic
Proses ou Boire dans le secret des grottes. Édition établie et présentée par Lucie Albertini-Guillevic
Gallimard
Tirage: 1 500 EX.
Prix: 16 € ; 128 p.
ISBN: 9782072976766
Eugène Guillevic
Sonnets édition établie et présentée par Bertrand Degott, postface de Lucie Albertini-Guillevic
Gallimard
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 20 € ; 208 p.
ISBN: 9782072996146

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