Avant-critique Roman

Aurélien Bellanger, "Les derniers jours du Parti socialiste" (Seuil)

Aurélien Bellanger - Photo OLIVIER DION

Aurélien Bellanger, "Les derniers jours du Parti socialiste" (Seuil)

Rentrée littéraire

Dans cette épopée politique, Aurélien Bellanger revisite le récit national avec fantaisie, à l'aide de personnages tragicomiques.

Parution 19 août

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Par Cédric Fabre
Créé le 25.07.2024 à 09h00

Au nom de la rose. L'œuvre s'articule autour de quelques figures ambitieuses qui prêtent autant à la moquerie qu'elles inspirent une certaine tendresse, et que n'aurait pas reniées Balzac. Aurélien Bellanger s'est visiblement amusé, et l'on est parfois tenté de déceler dans ce livre la marque d'une magistrale farce romanesque, derrière le ton faussement emphatique du propos. Les personnages semblent avoir été savamment choisis et construits pour « faire l'Histoire », et, accessoirement, servir la grandeur de la France... Ils s'appellent Sauveterre, Grémond, Frayère, Taillevent, soit des noms qui semblent directement sortis des romans politiques du XIXe siècle. Grémond est né en 1968 à Créteil, il a fait Sciences Po, il aime Rohmer et rêve d'une gauche orwellienne tandis qu'il grimpe les échelons du Parti socialiste, fustigeant « les tendances messianiques de la gauche Spontex » ; Taillevent et Frayère sont deux philosophes qui ont lu Nietzsche de travers et qui furent élèves et admirateurs du grand penseur Cormier, dont le seul objectif était de « faire mourir le moderne en nous ». Tous trois, en se rapprochant, vont raffermir leur laïcisme forcené et créer, après les attentats de 2015, le « Mouvement du 9 décembre » − totalement fictif. Et c'est la mécanique de cette dérive obsessionnelle du laïcisme que décortique Aurélien Bellanger avec une érudition et une ingéniosité politique et narrative hors du commun. Ceci l'amène à des débats passionnants, notamment sur la distinction qu'opèrent les protagonistes entre les concepts de « République » et celui, méprisable selon eux, de « société » − « le lieu des individus qui défont la nation, comme corps, et qui se défont eux-mêmes  », selon Grémond. De l'affaire des caricatures du Prophète aux « gilets jaunes », des attentats à la phobie du wokisme, c'est bien du déclin du Parti socialiste qu'il est question et du rôle qu'auront joué dans l'affaire ceux que l'on appelle les « nouveaux réacs ». On s'attache à l'identité nationale, on charge l'Islam et l'on cite des figures tutélaires qui vont de Marx à Maurras... « Se pencher sur l'histoire du 9 décembre, écrit Bellanger, c'est toucher à ce qui fait d'habitude défaut à l'historien : le zeitgeist, l'esprit du temps qui semble bien s'être incarné ici, pour le meilleur et pour le pire. »

On plonge alors dans une épopée historique et antihéroïque fascinante qui, conservant comme socle les faits réels, lorgne joliment vers la politique-fiction. Moins guidés par la nostalgie d'une France du passé que par la certitude d'être visionnaires, les instigateurs du Mouvement, qui serait pour le PS ce que furent les hérésies du Moyen-Âge pour l'Église catholique, font de l'entrisme dans la rédaction de Charlie Hebdo avant de créer leur propre feuille de chou, et réussissent même à s'attirer les bonnes grâces du Président. Ce roman constitue une formidable chronique du désenchantement politique, sur un mode particulièrement audacieux.

Aurélien Bellanger
Les derniers jours du Parti socialiste
Seuil
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 23 € ; 480 p.
ISBN: 9782021571165

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