Le 28 juin 1971 mourait d'une crise cardiaque, dans sa cellule de la prison de Düsseldorf où il purgeait depuis peu une peine de réclusion criminelle, un homme dont la justice et l'Histoire considéraient qu'il avait pris part très directement à l'assassinat, près de trente ans auparavant, de 900 000 personnes. Franz Stangl, fils d'un veilleur de nuit autrichien, policier zélé, converti aux vertus d'efficacité du IIIe Reich plus qu'à son idéologie, avait dirigé successivement les camps d'extermination de Sobibór et de Treblinka. Après la défaite, il y avait eu pour lui la fuite, vers la Syrie et finalement le Brésil, et leur promesse de vie nouvelle et de félicité domestique loin des miasmes de l'Histoire... Traqué et finalement débusqué, extradé vers l'Allemagne en 1967, Stangl, tout au long de son procès, rejouera le "théorème d'Eichman" sur son irresponsabilité en tant que simple exécutant. Pourtant, à l'issue du verdict, il acceptera de recevoir la journaliste et écrivaine Gitta Sereny (Au fond des ténèbres, Denoël, 2007), s'entretiendra longuement avec elle et, la veille de sa mort, lâchera dans un souffle "je n'ai plus d'espoir", puis "à présent, j'ai tout dit pour la première fois".

Cet aveu où tremble, même peu, même mal, même tard, comme un faible éclat de vérité est le "rosebud" du beau nouveau livre de Dominique Sigaud, Franz Stangl et moi, avec lequel l'auteure de L'hypothèse du désert fait son entrée sous la bannière bleue des éditions Stock. A la banalité du mal et à la présence du désastre, elle se collette depuis toujours, d'abord journaliste sur le théâtre des opérations, ensuite, depuis quinze ans et presque autant de livres, au fil de l'une des oeuvres les plus ardemment douloureuses d'aujourd'hui. Ce face-à-face avec le bourreau, où Dominique Sigaud prête, selon ses termes, à la littérature le pouvoir d'être "une décolonisation intérieure", est plus que fascinant, il est nécessaire.