La concernant, les sources sont maigres, mais les légendes tenaces. Derrière la figure d’Agrippine colportée depuis des siècles par Tacite et les tragédiens, Virginie Girod a recherché la personne. Comme dans Les femmes et le sexe dans la Rome antique (Tallandier, 2013), elle nous immerge dans une époque où la politique et la justice procèdent davantage du glaive que de la balance. On trucide beaucoup, on couche aussi pas mal, parfois avec ses cousins, ses frères ou ses enfants, mais sans le dire, car l’adultère est proscrit.
Avec une belle énergie, Virginie Girod nous aide à nous y retrouver dans ces familles tuyau de poêle et impériales où l’on se refile les maîtresses et où l’on empoisonne pour faire de la place. Dans les palais, le champignon est souvent vénéneux, le bouillon fatal - voyez Britannicus ! - et la sexualité buissonnière. Quant aux parties de jeux de dames, elles sont volontiers cruelles, voire mortelles. Pour Agrippine, elles se résument à "gouverner et rester vivant". Consciente de son rang, la petite-fille d’Auguste n’aura de cesse qu’elle ne l’obtienne par la ruse plus que par la force. Marié à 13 ans, son fils Néron va lui permettre d’accéder au pouvoir. Mais il faudra pour cela se débarrasser de Caligula, l’oncle de Néron, et de Messaline, que Juvénal qualifia de "putain impériale". Tous deux finissent opportunément assassinés et Agrippine s’impose comme "la femme la plus puissante et la plus influente que Rome ait jamais connue".
Maîtresse femme, elle devient maîtresse d’un empire. Mais il lui faut désormais compter avec un fils qui veut supprimer celle qui a pris un peu trop d’importance à ses yeux avec le titre d’impératrice mère. Ce qu’il fera sans états d’âme. Au cœur du drame qui se noue, coincé entre Néron et Agrippine, Sénèque n’a que le choix du stoïcisme…
Comment juger des actes quand on n’est sûr de rien ? C’est la question qui se pose à l’historien sur ces temps lointains où les lacunes documentaires sont vastes. Prudemment, Virginie Girod se contente de démêler le vrai du faux à partir des quelques sources fiables, les Mémoires d’Agrippine ayant hélas disparu et les différents chroniqueurs s’étant employés à la discréditer pour la postérité. Elle en profite pour brosser un panorama politique à côté duquel House of Cards fait figure de bluette. Mais bizarrement, c’est la télévision qui a rendu un peu de son honneur perdu à Agrippine avec la série Imperium. Quant à Virginie Girod, elle parvient, derrière l’image racinienne, à révéler le destin grandiose et funeste de la mère de l’un des plus grands tyrans de l’Histoire. L. L.