Si l'enfer est pavé de bonnes intentions, le paradis s'accommode parfois de plates-bandes fleuries en toute saison, de grandes maisons blanches aux jardins parfaitement entretenus, d'une résidence de luxe dont le nom semble aller de soi : Paradaïze, un coin enchanteur dans le golfe du Mexique pour privilégiés d'ici-bas. Dévolu à l'entretien des pelouses et des piscines, Polo, pas tout à fait adulte, plus tout à fait ado, né avec un regard « qui lui donnait l'air de ne pas avoir de but dans la vie », côtoie chaque jour les enfants gâtés de Paradaïze, dont il méprise les caprices tout en enviant leur vie facile. Parmi eux, Franco, un adolescent obèse abruti de vidéos porno, dont le seul mérite est de le ravitailler en alcool et de lui tenir compagnie après sa journée de labeur. Mais depuis l'arrivée des Moroño dans le lotissement, Franco n'a plus qu'une idée en tête : coucher avec Marián, alias Madame Moroño, qui fait passer le porno ingurgité au quotidien pour une « arnaque grotesque ». Une obsession dont Polo se moque, Marián étant pour lui « semblable aux autres femmes » de la résidence, voire « clinquante ». « C'était le mot qui la décrivait le mieux : plus que belle, elle était clinquante, elle attirait le regard comme si elle était faite pour qu'on fixe les yeux sur elle, avec ses courbes sculptées dans un gymnase et ses jambes nues jusqu'à mi-cuisse, portant des jupes de soie sauvage ou ses shorts de lin pâle qui contrastaient avec l'éclat hâlé de sa peau toujours bronzée. »
Tandis que Franco échafaude plan sur plan pour parvenir à ses fins, Polo réfléchit au moyen le plus rapide de quitter son « poste de merde », quitte à rejoindre, comme son cousin Milton, l'un des cartels semant la violence par-delà les murs entourant la résidence. Mais quand les plans de Polo rencontrent ceux de Franco, la violence se joue des frontières entre riches et pauvres et s'invite au paradis dans un final aussi terrible que macabre. « Tout ça, c'est la faute du gros », entend plaider Polo pour sa défense, oubliant que Franco et lui ne sont pas nés sous la même étoile.
Née en 1982 dans l'État de Veracruz, théâtre d'une guerre sans fin entre narcotrafiquants, Fernanda Melchor ausculte de sa plume les maux de son pays, portant la voix de ses fantômes et de ses démons. Après La saison des ouragans (Grasset, 2019) qui, à travers une intrigue policière à rebours brossait un saisissant portrait du Mexique, Paradaïze explore la fracture entre ultrariches et extrême pauvreté, le consumérisme effréné des uns contre l'absence de perspectives des autres, l'hypersexualisation et la banalité du viol. Au long d'une inexorable descente aux enfers laissant peu de chances au lecteur de reprendre son souffle, ce récit, d'un lyrisme cru impeccablement rendu par la traduction de Laura Alcoba, confronte l'immaturité des adolescents dont il suit la trajectoire avec la banalisation d'une violence extrême. Un phénomène qui, aussi exacerbé soit-il au Mexique, n'épargne aucune de nos sociétés globalisées.
Paradaïze Traduit de l’espagnol (Mexique) par Laura Alcoba
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18 € ; 220 p.
ISBN: 9782246827719