Dans Le juste milieu (La Table Ronde, 2011), son premier roman, prize Roger Writer’s Trust Fiction et best-seller international, la Canadienne Annabel Lyon s’était intéressée à la relation d’exception entre Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) et Aristote (384-322 av. J.-C.), qui fut son précepteur. Premier exemple, dans l’histoire, d’un intellectuel qui tentait - pensant modeler l’esprit d’un (futur) souverain - d’influer positivement, philosophiquement, sur le cours des choses. De tempérer l’hybris (la "démesure") de son élève, de lui inculquer la sagesse, la bonne gouvernance. Echec cuisant : après le meurtre de Callisthène, en - 325, Aristote rompit définitivement avec Alexandre.
Avec Aristote, mon père, second volet du diptyque, la romancière, familière de l’Antiquité grecque, poursuit sa relecture de la vie du philosophe. Macédonien et partisan d’une hégémonie de sa nation sur les autres cités grecques, Aristote avait dû fuir Athènes depuis - 335, où il risquait un procès pour "impiété". Mais Annabel Lyon a choisi pour son récit un prisme particulier et moderne, prenant le parti de faire raconter cette histoire par Pythias, la fille d’Aristote. Un genre de bas-bleu, éduquée par son père comme ses propres élèves, tous des garçons, et aussi un sacré caractère, avec son franc-parler, sa liberté de penser et d’agir. Inutile de dire que, même jouissant d’un statut privilégié, elle est souvent entrée en conflit contre la société de son temps, largement patriarcale et machiste. Ainsi, son mariage programmé avec son cousin, Nicanor, n’a pas été une mince affaire.
Annabel Lyon, qui n’accable jamais son lecteur sous le poids de son érudition, nous replonge dans nos humanités classiques d’une manière simple et vivante. Elle dépoussière sans tomber dans l’anachronisme ni la réécriture idéologique, deux des maux de notre temps, où l’hybris règne en maître. Aristote, aujourd’hui, ne saurait plus où donner de la tête. Avec Pythias, il créerait sans doute un think tank. J.-C. P.