10 octobre > Essai France

Jean Clair- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Bien sûr on ne sera pas d’accord avec tout ! Surtout pas… Jean Clair n’est pas homme de consensus. C’est sa manière à lui de ruer dans les brancards. Conservateur, il l’est dans les deux sens du terme, politique et patrimonial. Pendant une dizaine d’années, il a dirigé le musée Picasso de Paris sous son nom véritable, Gérard Régnier. On lui doit aussi quelques grandes expositions qui ont fait date : « Duchamp », « Balthus », « Mélancolie » ou « Crime et châtiment ». Et puis il y a l’homme de lettres, l’académicien, l’essayiste qui circule dans les savoirs, un œil sur l’histoire de l’art, l’autre sur le monde comme il ne va pas.

L’avantage du conservateur, c’est qu’il se souvient d’où il vient. Un peu trop parfois, au point de se complaire dans la nostalgie. Ce n’est pas son cas. Si Jean Clair apparaît un peu vite comme l’homme des « point de lendemain », il sait que le futur se conjugue toujours à la hauteur des espérances.

Les derniers jours relève de l’autobiographie, de l’essai sur une modernité jugée désastreuse, mais c’est aussi une promenade esthétique, avec l’idée que l’art du XIXe siècle a fait plus qu’annoncer les désastres du XXe. Il les aurait justifiés en déformant les corps et en effaçant les visages. Le cauchemar de la transparence aurait fini par tout faire disparaître.

Comme Le corbeau d’Edgar Poe, Jean Clair reprend sa complainte du « nevermore ». « Il faudra bien un jour reconnaître que l’événement majeur du XXe siècle n’aura pas été l’arrivée du prolétariat, mais la disparition de la paysannerie. » C’est elle qui « couturait » le territoire, qui délimitait la culture, et c’est de là qu’il vient.

On ne pourra pas reprocher à l’auteur du Journal atrabilaire (Folio, 2008) de pêcher par optimisme : fin des paysans, fin d’une époque, fin d’une civilisation. Nourrie de sa connaissance des arts et de l’histoire, voici une fin de partie morose. Mais là où le personnage de Beckett éprouvait le besoin de tyranniser quelqu’un pour se sentir exister, Jean Clair trouve quelques remèdes à son chagrin dans la contemplation des merveilles de Venise (sans les touristes !), dans l’évocation délicate de Zoran Music ou dans celui de son Pantin d’après-guerre.

Cela nous vaut des pages splendides, d’une écriture ciselée, notamment sur la relecture des livres qui est le privilège de l’âge. « Lire avait été une aventure, relire est une retraite. » Mais aussi des détestations quand il se découvre le seul Blanc dans le métro. Jean Clair passe alors du côté obscur où l’on n’est pas obligé de le suivre. Il voit la société moderne comme un camp de prisonniers dans une bataille invisible, avec une société où les dieux comme les idées se sont évanouis. Comment échapper au plomb de la mélancolie ? Jean Clair y répond dans cette oraison funèbre à un monde disparu. L. L.

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