Dans une France pompidolienne encore marquée par la comète 68 et qui n’a pas renoncé à châtier les "révolutionnaires", Michel Foucault (1926-1984) prononce son deuxième cours au Collège de France. Du 24 novembre 1971 au 8 mars 1972, il donne treize leçons sur les "Théories et institutions pénales". Au menu, la révolte des Nu-Pieds à Rouen étouffée dans la fureur en 1640 (certains rebelles normands sont découpés en morceaux), le XVIIe siècle absolutiste, et la naissance de l’appareil répressif moderne.
Dans ce que l’on considère comme son grand cours sur le droit, Michel Foucault met en évidence l’émergence d’un troisième corps du roi, après le physique et le spirituel : le corps de l’appareil d’Etat avec ses fonctionnaires. C’est lui qui va désormais se charger de la protection et des sanctions. Dans les dernières leçons, Foucault amorce la réflexion pour son prochain cours sur La société punitive (EHESS/Gallimard/Seuil, 2012). De ces matériaux, il tirera Surveiller et punir (Gallimard, 1989) dont les concepts ont fini par s’imposer dans les sciences humaines contemporaines.
Au Collège de France, lorsqu’il atteignait le bureau après avoir traversé une salle bondée, son premier geste était de faire de la place pour disposer ses notes et écarter les nombreux magnétophones. Pour ce cours, les éditeurs n’ont pas retrouvé d’enregistrement. Le lecteur doit donc se contenter des notes préparatoires, un peu sèches, elliptiques quelquefois, avec quelques formules ("La justice armée n’est pas une institution, c’est une opération"), mais on y voit bien tout de même comment se développe le raisonnement autour des institutions pénales et cette manière qu’a Foucault d’éclairer le général par le particulier, en l’occurrence les manifestations de Rouen. De plus, en annexe, François Ewald et Bernard E. Harcourt resituent le cours dans son contexte politique et sa place dans le vaste travail de Michel Foucault sur le pouvoir.
Archéologue. Il n’y a sans doute pas de métier plus audacieux. Reconstituer une histoire d’après des morceaux épars. Michel Foucault a fait de même avec les idées. A leur tour, Alessandro Fontana, décédé en 2013, et François Ewald se sont faits les archéologues de Foucault en éditant ses cours au Collège de France. Comprendre comment une pensée entre en gestation pour accoucher d’une idée. Les cours de Foucault ne sont pas des ouvrages secondaires dans son œuvre. On observe l’argumentation s’étoffer au regard de l’actualité. Il y a quelque chose d’exemplaire dans la manière dont la plupart de ces cours ont été retranscrits. On y entend la voix du philosophe, mais aussi sa manière de penser, de s’engager. C’est ainsi que se clôt cette belle aventure intellectuelle et éditoriale. commencée en 1997. Laurent Lemire