Certains artistes contemporains ont radicalisé la définition de la peinture qu'en donne Léonard de Vinci, en ne faisant plus du tout de peinture. L'art avec eux se réduit à la cosa mentale, à la seule idée. Ils ne mettent plus la main à la pâte : ils prennent un objet manufacturé (le ready-made), ou ce sont des petites mains - leur anonyme assistant - qui s'y collent. Le début de Vide sanitaire de François Durif nous glisse dans l'univers du plasticien suisse allemand Thomas Hirschhorn, très en vogue autour des années 2000. Hirschhorn, c'est le militant radical chic qui donne un grand coup de pied dans la fourmilière de l'art contemporain, à travers des installations trash, faites de carton, de bouts de scotch, de coupures de presse dénonçant l'iniquité du monde et la guerre d'Irak. Il lit la French Theory et érige des monuments à Foucault, Deleuze, Derrida... D'ailleurs, trouve-moi ce livre de Derrida, demande-t-il à son assistant, c'est quoi déjà ? Et de souffler, incapable de se rappeler le titre original : « als ob ich tot wäre ». Comme si j'étais mort... Les mots résonnent dans la tête dudit assistant.
Cinq ans déjà chez Hirschhorn. Après les Beaux-Arts, le créateur en herbe qui se cherche avait trouvé ce job d'assistant, à découper des images de morts violentes dans les journaux ou des bites dans les magazines porno gay, à collecter des ossements humains, à installer des architectures précaires pour l'arte povera punk de l'Helvète qui se veut underground. L'esthétique du dénuement, la crudité du désir, l'horreur de la mort... Rien de tout cela ne le dérange mais il se sent mourir. Ou déjà mort. Mort à lui-même, comme mis en bière dans un sarcophage qui n'est pas le sien. La Faucheuse pourtant n'est pas si mauvaise, c'est elle qui lui fait la courte échelle pour s'évader. Case Pôle emploi, avec bilan de compétences, et le voilà employé à L'Autre Rive, une entreprise de pompes funèbres.
Dans Vide sanitaire, François Durif raconte son itinéraire de « gentil par anxiété » et livre un récit à l'introspection incisive. Il dissèque ses ambitions d'artiste en se reliant à l'autre par le deuil, ou plus précisément les endeuillés qu'il doit accompagner avec tact, sans violer l'intimité de leur peine. Il explore, en parallèle, l'homosexualité des buissons et des backrooms. L'autopsie d'un artiste en jeune homme se double en Confessions d'un masque, pas si mortuaire. Son corps bouge encore et ses mots vibrent avec une justesse sensible.
Vide sanitaire
Verticales
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 304 p.
ISBN: 9782072953958