Nez en moins. Le 23 juillet 2018, Françoise-Marie Santucci et son épouse Delphine, roulant sur une petite route de Balagne, non loin de Bastia, la ville natale de la journaliste, voient leur modeste voiture emboutie par la grosse BMW d'un chauffard alcoolisé. Le choc est violent. Les airbags explosent. Des riverains coincent le fautif, qui sera condamné plus tard, à la suite d'un procès. Grièvement blessées, contusionnées, notamment au visage, les deux victimes sont conduites à l'hôpital, soignées, avant de regagner la maison amie qui devait être le lieu de vacances idylliques.

C'est alors que tout bascule : la succulente pizza commandée n'a plus aucune odeur, et, partant, plus de goût. Françoise-Marie constate bien vite qu'à la suite du choc, elle est devenue anosmique. Plus tard, le docteur Corinne Eloit, sa bonne fée tout au long de son calvaire, lui expliquera que ce sont ses deux bulbes olfactifs, petites glandes en forme de haricot situées en avant du cerveau, qui ont été atteints. Que cela peut se réparer avec beaucoup de patience, ou pas. Dans son cas, elle va tenter une rééducation grâce à onze petits pots contenant des produits à forte senteur (la vanille, le café, la cannelle, le clou de girofle...). Et quelle joie le jour, bien des mois après, où une discrète fragrance se manifeste.

Cela dit, la narratrice explique à la fin que son handicap est toujours présent, presque cinq ans après, et sans doute à vie. Elle a appris à vivre avec, à le sublimer dans l'exploration du monde des senteurs, des goûts, des parfums, dont témoigne son livre, et à compenser en explorant le peu qu'elle ressent : cet arôme de fromage, par exemple, qui se superpose à celui du vin blanc. L'ironie de cette histoire, c'est que Françoise-Marie Santucci, longtemps journaliste à Libération, s'y était fait une spécialité d'écrire sur les parfums, les vins, la cuisine. C'est à la fois une esthète et une gourmande, une jouisseuse de tous les plaisirs de la vie. Certains perdus, comme l'odeur du maquis corse, ou celle du corps aimé, incomparables... De ce drame, de ses conséquences, de sa vie nouvelle, elle a fait un livre très personnel et direct, à la fois thérapeutique, documenté voire scientifique, nourri de témoignages (cuisiniers, parfumeurs, œnologues), qui touchera d'autant plus après le passage du Covid, dont l'une des séquelles est l'anosmie, et/ou l'agueusie.