Bien que signée par un Anglais, c'est une biographie "à l'américaine", dense, précise, traitée comme le roman d'une époque, avec une multitude de détails. Ajoutons qu'il s'en dégage un point de vue, ce qui n'est pas plus mal quand on consacre six cents pages à un personnage, même si ce personnage n'a vécu que trente-six ans. C'est donc autant la vie d'un homme que les tourments du monde d'hier qui nous sont racontés.
David Macey, connu pour ses traductions d'Alain Touraine ou ses travaux sur Lacan et Foucault, avait publié il y a dix ans ce livre de référence sur Frantz Fanon (1925-1961). A l'occasion du cinquantenaire de sa mort, le voici donc traduit et revu pour l'occasion avec un commentaire sur les travaux récents en postface et une nouvelle introduction qui montre en quoi l'actualité politique et sociale en France nous renvoie toujours à lui.
On y trouve tous les éléments pour comprendre le parcours intellectuel de ce psychiatre né à Fort-de-France, devenu l'un des fondateurs du tiers-mondisme. Au lycée Victor-Schoelcher, l'un de ses professeurs s'appelle Aimé Césaire. Engagé dans les Forces françaises libres, il combat dans les Vosges. Après la guerre, il fait des études de médecine à Lyon et découvre la discrimination et le racisme, qu'il exprime dans Peau noire, masques blancs.
En 1953, devenu médecin-chef à Blida, en Algérie, il introduit des méthodes de psychothérapie nouvelles, analyse les conséquences psychologiques de la colonisation, tant sur le colon que sur le colonisé, et rejoint le FLN au début de la guerre d'Algérie. En 1959, il publie chez François Maspero L'an V de la révolution algérienne, où il en appelle aux démocrates européens. Il échappe à plusieurs attentats, se lance dans l'étude du Coran et cultive l'intransigeance. Se sachant atteint d'une leucémie, il se retire aux Etats-Unis pour se faire soigner et achever l'écriture des Damnés de la terre, son dernier ouvrage qui sera préfacé par Jean-Paul Sartre. Il meurt dans un hôpital de Washington quelques mois avant les accords d'Evian. Au-delà du militant anticolonialiste, cette biographie insiste sur un aspect méconnu de la carrière de Frantz Fanon. Son travail dans le domaine de la psychiatrie, notamment ses notes sur les effets de la pratique de la torture sur les tortionnaires. Avec une bonne connaissance de la guerre d'Algérie, de ses horreurs et des débats intellectuels d'alors, David Macey replace l'homme dans son contexte, dans l'environnement idéologique de l'époque, sans pour autant justifier les excès prônés par Fanon. Et il considère qu'il est temps de le relire aujourd'hui. Ce que permet l'édition de ses oeuvres, qui paraît simultanément à La Découverte.