Rivalités, séductions, prétentions, mais aussi empathie… toute la palette des sentiments humains est représentée dans cette étonnante confrérie d’animaux qui habite les rivages de la Terre de Feu. Tous les jours ils se chamaillent, discutent le bout de gras, refont le monde. Il y a là Jorge-Luis Bigfoot, un petit puma qui fait sans cesse la course avec l’oiseau coureur Raoul Bolivar Estremaduro, malgré les injonctions de son père Dante-Gabriel qui voit d’un mauvais œil le fait que son cher fils sympathise ainsi avec ses futures proies. Il y a là aussi Birgit Castafior, l’ancestrale baleine à la voix d’or, le pivert Monjoli Picassiette qui squatte le nid des Picasso. Quant à la jolie sterne arctique d’un blanc immaculé Solena Kilometra, quelle fieffée râleuse !
Premier régal dans ce roman, l’onomastique, inspirée par les arts ou la personnalité. Ainsi l’huîtrier Gonzague Louis de Pachacama est un snob de première à la rhétorique tarabiscotée. Mais celui qui a la palme du nom à coucher dehors, c’est Shukukurhtumahgoon. Il a un statut à part, c’est un fantôme humain condamné à errer, sans plus aucun souvenir de son passé, mais avec une mémoire de son avenir. Nul habitant de la colonie ne peut rien pour lui. Seul le superbe condor Juan Pablo Ignacio IV de la Cruz, dit "El Magnifico", qui domine tout ce petit monde depuis ses hautes strates va contre toute attente aider le pauvre hère. Grâce soit rendue à Christian Garcin pour avoir écrit ce merveilleux roman plein de poésie et de pensée. "Parfois le présent se dilate jusque dans le futur", dit Dante-Gabriel à son fils. La lecture de ce livre aussi dilate notre temps. Fabienne Jacob