Roman/Québec 22 août Alexie Morin

Prix de l'Association des libraires du Québec dans la catégorie roman en mai dernier, Ouvrir son cœur remplit sans concession la mission de son titre programmatique. L'auteure de cette autofiction, Alexie Morin, éditrice au Quartanier, la maison montréalaise qui la publie, raconte dans ce livre -le troisième après le texte poétique Chien de fusil et la novella Royauté - qu'elle a mis huit ans pour parvenir à livrer ce récit percutant qui frappe par sa franchise offensive et la profondeur de son introspection. On la croit sans peine tant l'écrivaine interroge la validité de sa démarche, jamais dupe de la part de réinvention de toute écriture de soi. « Se souvenir, comme écrire, est un processus transformateur ». En toute lucidité, cette jeune femme de 35 ans, grandie à Windsor, dans les Cantons-de-l'Est, se souvient : de la peur, de l'anxiété chronique, envahissante, qui a dominé son enfance et son adolescence. Une peur déclinée dans tous ses états, le repli mutique, la gêne, la nervosité, le mépris, la méfiance, l'agressivité et la provocation jusqu'à la fuite. La peur des autres mais aussi de soi, de ses propres réactions, de ses émotions incontrôlées, de son impulsivité. Et enfin avec la peur, la honte, la peur anticipée de la honte et la honte de la honte. Le sentiment d'être fautif, d'être aux yeux de tous, en toutes circonstances, une fille « fuckée ».

Au départ, il y a « l'œil croche », ce strabisme convergent sévère, handicap qui, comme l'a évoqué la Mexicaine Guadalupe Nettel dans Le corps où je suis née, façonne une vision particulière du monde et forme un caractère. Alexie enfant ne voit pas la même chose que tout le monde : son cerveau ne reçoit pas les mêmes informations. De la difficulté à accommoder naît une difficulté à s'accommoder. Ouvrir son cœur, c'est bien sûr déballer, avec tout ce que ce mot charge d'impudeur et d'audace, mais la formule contient aussi le côté littéral, saignant. Et le cliché de l'écriture au scalpel est approprié tant la chirurgie est ici une question de survie. Ce cœur qu'on ouvre, c'est aussi celui de Fannie, l'Amie avec un grand A, parce que pendant dix ans, elle sera la seule, l'unique, avec ce que cela implique de dévotion, d'exclusivité jalouse. Cette amie née avec une malformation cardiaque, opérée maintes fois, qui va mourir à 18 ans.

Dans ce français du Québec qui sonne parfois avec une délicieuse étrangeté, Alexie Morin compose l'autoportrait de la fille inadaptée, rageuse en dedans et en dehors qu'elle a été. Elle rend grâce au refuge qu'elle a pu trouver dans les mots écrits et le dessin. Mais ce qu'elle décrit au-delà de cette réalité personnelle filtrée et déformée par le temps et l'écriture, c'est la solitude des différents, l'exclusion de ceux qui ne parviennent pas à maîtriser les codes de la vie sociale, à s'ajuster aux modèles. A 30 ans, un diagnostic sera posé sur ce qui apparaîtra rétrospectivement comme les symptômes d'une pathologie : TDAH, trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité. « Ça parle avant de penser. Penser arrive trop tard. » Mais Alexie Morin prouve qu'il n'est jamais trop tard pour écrire à cœur ouvert.

Alexie Morin
Ouvrir son cœur
Le Quartanier
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19 euros ; 376 p.
ISBN: 9782896983629

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