Bad Arolsen, petite ville de la Hesse allemande abritant les archives des persécutions nazies. Parmi elles, des milliers d'objets témoins des heures les plus sombres de notre histoire : alliances, chevalières gravées, montres « dont les aiguilles se sont figées un matin de 1942 », « comme un cœur cesse de battre ». Restes sans valeur marchande, « méprisés par les assassins ». Employée au sein de la section de recherche et d'éclaircissement des destins de l'International Tracing Service, Irène est chargée de remonter le temps, en quête des victimes auxquelles ces objets ont un jour appartenu. Dans l'espoir de les restituer à leur famille. Cette mission, « qui la dépasse et la justifie », occupe le moindre espace de la vie d'Irène, trop selon son fils Hanno, dont elle a la garde partagée depuis son divorce d'avec son mari allemand. « Il faut avoir l'oreille fine et la main patiente. Savoir ce que l'on cherche et être prêt à trouver ce que l'on ne cherchait pas. »

Un pierrot la met sur la piste d'un certain Teodor Masurek, déporté au camp de Neuengamme. Parfois, une vision s'invite sur sa rétine : celle d'un infirmier confiant au « gamin fiévreux » ce pierrot « récupéré sur un enfant mort ». Autre destin à éclaircir. Un médaillon la confronte à Wita et Elsie. La première a accompagné les derniers instants d'un enfant juif. La seconde était gardienne au camp de Ravensbrück. « Peut-on rester humain, dans un cadre où l'inhumanité est la règle ? », interroge le petit-fils d'Elsie dans une lettre adressée à Irène.

Enquêter sur des disparus permet parfois la rencontre de vivants, qui infléchissent la trajectoire d'Irène, l'emportent loin des forêts de Bad Arolsen, sur le chemin d'autres vies que la sienne, de la France à l'Argentine, de Varsovie à Thessalonique. Les histoires de Wita, Lazar, Lucia, Allegra, Karol et de tant d'anonymes s'entremêlent sous la plume de Gaëlle Nohant, parallèlement à celle d'une héroïne devenue leur porte-voix. En fil rouge, l'histoire d'Eva, une collègue d'Irène rescapée d'Auschwitz, qui l'emmènera « de l'autre côté des barbelés ». Le lecteur lui aussi, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Ce n'est pas un simple roman que livre Gaëlle Nohant, mais une quête intime aux sources de nos origines collectives. Et des fantômes de papier qui ne cessent d'interroger notre époque donnant « tous les signes que le monde s'obscurcit et se referme ».