Lorsque les éditions de la Nouvelle Revue française sont créées en 1911, la Librairie Flammarion est éditeur depuis déjà trente-cinq ans. En 1909, Ernest Flammarion a même associé ses fils Charles et Albert dans la société. La Première Guerre mondiale voit leurs activités respectives se réduire, mais Flammarion obtient son premier prix Goncourt avec Le feu d'Henri Barbusse en 1916 et, devenues Librairie Gallimard en juin 1919, les éditions dirigées par Gaston Gallimard obtiennent le leur en décembre avec A l'ombre des jeunes filles en fleurs de Marcel Proust. Au début de l'année, Ernest Flammarion a laissé la société à ses fils. C'est Charles qui va diriger les éditions, Albert se chargeant de l'activité librairie.
La première action commune avérée des deux maisons est leur participation à la création de la Maison du livre français en mai 1919. La MLF organise la distribution commune des éditeurs parisiens auprès des libraires de province et de l'étranger et les principaux éditeurs y contribuent. Charles Flammarion et Gaston Gallimard se croiseront également au Cercle de la librairie et au Syndicat des éditeurs, dont ils sont membres tous les deux, mais ils auront peu de relations personnelles.
CHASSÉ-CROISÉ D'AUTEURS
Tout juste trouve-t-on, dans l'entre-deux-guerres, trace de quelques auteurs qui sont publiés par les deux maisons ou passent de l'une à l'autre. En avril 1931, Jules Romains s'ouvre à Jean Paulhan d'un projet de saga : "Il écrit en ce moment, raconte Paulhan à Gaston Gallimard, un roman pour lequel il désirerait un succès de public équivalent à celui de Knock. Il ne pense pas que la NRF puisse l'aider à réaliser ce projet. Il s'agit d'un long roman, qui aura environ dix volumes et qu'il voudrait voir tiré dès le début à 80 000 exemplaires » (1). Bien qu'ayant signé un contrat d'exclusivité en 1924 avec Gallimard, c'est chez Flammarion qu'il publiera Les hommes de bonne volonté (27 volumes de 1932 à 1947). Le coup est rude pour Gaston Gallimard, qui lui écrit le 2 avril 1932 : "Vous ne pouvez pas ne pas penser, comme moi, que votre conduite a été peu claire et inamicale. Je serais bien naïf et bien indifférent si je ne le ressentais pas profondément" (2), et refuse de passer une publicité pour le premier volume dans La NRF, ce que Jules Romains fait constater par huissier.
Pierre Hamp, qui avait jusque-là publié ses livres chez Gallimard mais qui est toujours mécontent de ses ventes, donne également un livre à Flammarion. Le 12 janvier 1932, il écrit à Gaston Gallimard : "L'expérience que je viens de tenter chez Flammarion m'a prouvé que j'ai eu grand tort de ne pas l'accomplir plus tôt, car malgré la crise commerciale, on a vendu en deux mois plus de La Laine, que la NRF n'a vendu de chacun de mes livres en plusieurs années » (3). Cela ne l'empêchera pas de revenir chez Gallimard pour avoir sa propre collection reprenant ses oeuvres complètes - ce qui ne suffira pas à assurer sa postérité. Mais ce sont des exceptions. A cette époque, les auteurs changent beaucoup moins d'éditeurs qu'aujourd'hui.
AMITIÉ
Henri, fils de Charles Flammarion, commence à travailler avec son père en 1928 ; Claude, fils de Gaston Gallimard, entre dans la maison en 1937. C'est durant la Seconde Guerre qu'ils commencent tous les deux à avoir d'importantes responsabilités auprès de leurs pères respectifs. Henri et Claude se lient d'une sincère amitié ; ils s'invitent régulièrement chez l'un ou chez l'autre à dîner avec leurs épouses. En 1959, ils sont les principaux artisans de la création de la Scelf (Société civile de l'édition littéraire française) qui permettra aux éditeurs de gérer les droits d'adaptation audiovisuelle de leurs livres ; Henri Flammarion va en être le premier président pendant dix ans. Le seul véritable nuage dans leur relation amicale sera le passage de Jean Dutourd chez Flammarion en 1966, alors qu'il était publié chez Gallimard depuis vingt ans et en était conseiller littéraire...
Pour contrer France Loisirs dans les années 1970, ils étudient avec Le Seuil la création d'un club de livres, mais le projet n'aboutit pas. C'est dans la distribution que Gallimard et Flammarion vont poursuivre leur coopération. Lorsque, au début de l'année 1970, Claude Gallimard envisage de quitter la distribution Hachette pour créer sa propre structure, il s'en ouvre à Henri Flammarion. Après une première rencontre le 29 janvier où ils évoquent la possibilité de créer une coopérative commune, un déjeuner réunit le 26 février Claude Gallimard et son fils Christian avec Henri Flammarion et son fils Charles-Henri. Entre-temps, un protocole de dénonciation du contrat Hachette-Gallimard a été signé le 16 février, mais la rupture ne sera annoncée que le 13 mai pour prendre effet le 28 février 1971. Christian Gallimard a convaincu son père de créer leur propre structure de distribution, la Sodis. Un accord de coopération est néanmoins passé entre Flammarion et Gallimard pour aider au démarrage de la société : Flammarion met à disposition ses programmes informatiques et ses fichiers clients, ce qui fera gagner beaucoup de temps à Gallimard, d'autant que les fichiers clients communiqués contractuellement par Hachette se révéleront en grande partie inutilisables. La même année, ils montent une société de distribution au Canada, la Socadis, dont ils détiennent toujours chacun 50 %.
En 1978, ils créent ensemble un GIE Grandes surfaces éditions (GSE) pour assurer leur diffusion dans la grande distribution, mais il est dissous en 1980, Flammarion souhaitant avoir sa propre force de vente. Ce sera la cause du rachat par Gallimard du grossiste lyonnais FED qui sera l'une des raisons du départ de Christian en 1983. En 1981, Claude Gallimard et Henri Flammarion soutiennent activement la création du Salon du livre de Paris par le Syndicat national de l'édition ; ils estiment primordiale la promotion du livre pour soutenir leur activité.
Alors que Charles-Henri Flammarion a accédé à la présidence de Flammarion à la mort de son père en 1985, Antoine Gallimard succède au sien en 1988. Charles-Henri est de la quatrième génération, Antoine de la troisième ; ils ont à peine un an d'écart. En 1990, ils créent avec Le Seuil la société Livre Diffusion pour ouvrir des comptoirs de vente communs à Ivry, à Lyon et à Nantes, et en 1995 ils créent une filiale commune, Mediadif, pour la distribution de leurs produits multimédias. L'expérience prendra fin trois ans plus tard. Il est encore trop tôt. Sur la participation au capital des Puf, ils seront rivaux en 1999, mais c'est Flammarion qui l'emporte. En 2009, Flammarion rejoindra Eden Livres, plateforme de distribution du livre numérique créée quelques mois plus tôt par Gallimard et La Martinière ; encore une fois, ils ont choisi une voie commune dans la distribution.
Gallimard et Flammarion ont également partagé des figures de l'édition : Paul-Otchakovsky-Laurens, entré chez Flammarion en 1970, le quitte pour Hachette en 1978. Après avoir créé sa propre maison d'édition, P.O.L, en 1983 avec l'aide de Flammarion, c'est Gallimard qui reprend 25 % de son capital en 1991 et devient son actionnaire majoritaire en 2003. Françoise Verny, entrée chez Gallimard en 1982, le quitte en 1986 pour aller chez Flammarion où elle restera jusqu'en 1995. Teresa Cremisi, entrée chez Gallimard en 1989, a pris la direction de Flammarion en 2005 après avoir été la plus proche collaboratrice d'Antoine Gallimard. Ils vont se retrouver.
(1) Gaston Gallimard & Jean Paulhan, Correspondance, Gallimard, 2011, p. 79.
(2) Martine Poulain, "Bestsellers et longsellers dans une maison d'édition de qualité", dans Gallimard 1911-2011. Lectures d'un catalogue, Gallimard, 2012 ("Les Cahiers de la NRF"), à paraître.
(3) Archives Gallimard.