Le projet de réédition des trois pamphlets – Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres et Les beaux draps – avait suscité de vives réactions depuis qu'il avait été révélé. Serge Klarsfeld, président de l’association Fils et filles de déportés juifs de France, était indigné : "La place centrale de Céline dans la littérature ne justifie pas de publier des écrits qui tombent sous le coup de la loi."
Choc et hystérie
Le patron de Madrigall a entendu le message: "La très vive émotion et les débats contradictoires qu'a provoqués cette annonce rappellent en effet la nécessité d'une parfaite contextualisation de ces écrits, afin de nous préserver collectivement de toute récupération antisémite ou de toute atténuation de leur ignominie. Je comprends et partage l'émotion des lecteurs que la perspective de cette réédition choque, blesse ou inquiète pour des raisons humaines et éthiques évidentes".
Il y a deux jours, à la Foire de New Delhi, il avait souhaité que chacun retrouve son calme après cette tempête médiatique: "Je trouve que le débat est un peu hystérique, un peu fou. Ce débat, peut-être qu'il faut l'avoir, mais en tout cas je proposerai qu'on l'ait le jour où l'édition que je ferai - si je fais cette édition - sera prête."
Ecrits de haine
"J'ai entrepris il y a quelques mois, sur l'initiative de Maitre Gibault, avocat et de Mme Lucette Destouches, veuve de l'écrivain, de publier une édition critique des pamphlets antisémites de Louis Ferdinand Céline, jugeant en conscience qu'on pouvait effectuer, selon les derniers acquis de la recherche, sans complaisance aucune, un travail scientifique sur ces écrits de haine, en associant texte intégral et commentaire historique", explique encore le patron de Madrigall.
"Les pamphlets de Céline appartiennent à l'histoire de l'antisémitisme français le plus infâme. Mais les condamner à la censure fait obstacle à la pleine mise en lumière de leurs racines et de leur portée idéologiques et crée de la curiosité malsaine là où ne doit s'exercer que notre faculté de jugement", ajoute l'éditeur.
Dans un article paru dans Le Monde daté du 12 janvier, l'écrivain Yann Moix prend parti pour la réédition de ces pamphlets : "Tout "Céline" moins "les écrits antisémites", c'est inventer un Céline qui n'existe pas, n'a jamais existé, est une chimère, une licorne. Il fallait, dès après sa mort, en 1961, publier l'intégrale de l'œuvre dans "La Pléiade" et dans l'ordre chronologique ; le classement thématique (d'un côté les romans acceptables et géniaux, de l'autre les pamphlets inadmissibles et nauséeux) produit une idée fausse de l'homme qu'il fut."
Les pamphlets devraient tomber dans le domaine public en 2031 et seront alors libres de droits. Ils ne sont pas interdits en France, mais n'ont pas été réédités depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sa veuve, Lucette Destouches, âgée de 105 ans, s'y opposait. Ils ont été publiés au Québec, où l'auteur est dans le domaine public, et sont disponibles sur Internet et chez des bouquinistes.