Allô la terre, bobos. « La terre, elle, ne ment pas. » On connaît de triste mémoire ces mots prononcés par le maréchal Pétain dans son discours du 25 juin 1940 annonçant les conditions de l'armistice. Le futur chef du régime de Vichy fustigeait le relâchement moral du peuple français et promettait un ordre nouveau. La terre a toujours bon dos, elle qui n'a jamais rien demandé sinon d'être respectée un minimum. Face à l'urgence climatique, d'aucuns entendent agir ici et maintenant et proposent une idée neuve du progrès. Progrès qui stopperait le censé progrès - cette marche forcée vers l'exploitation croissante des ressources de la planète. Prométhée a dérobé le feu aux dieux pour le donner aux hommes, lesquels, à leur tour ivres d'hubris, ont incendié la maison. Le progrès « updaté », c'est la conservation, pas touche au sol ! Pour Arthur et Kevin, étudiants d'AgroParisTech, c'est à bas le glyphosate et vive le ver de terre ! Les deux héros du nouveau roman de Gaspard Kœnig Humus boivent les paroles du charismatique professeur Combe « spécialiste mondialement reconnu » ès lombrics : « Lombricompostage, lombrifiltration, lombriti : tout est possible avec ces animaux-là. »

D'origine sociale différente - Arthur est de la classe moyenne parisienne et Kevin d'extraction rurale -, la paire d'ingénieurs agronomes met en pratique les théories du professeur. Pas ensemble, façon Bouvard et Pécuchet, mais à front renversé : Arthur s'installe à la campagne avec sa petite amie Anne, aspirante romancière, et Kevin s'aguerrit, quant à lui, aux arcanes de l'entreprise et se lance à corps perdu dans le business des engrais bio avec pour associée la redoutable Philippine. L'avenir est au lombricompost ! Produit de manière artisanale, au dam d'agriculteurs moins écolos, pour le premier ; débité à échelle industrielle, grâce à de gros investisseurs pour le second. Alors que l'aventure d'Arthur risque de tourner court et d'épuiser la patience de sa copine demeurée très urbaine, Kevin peaufine son image de startuppeur branché grâce à un portrait de « der » de Libé...

Gaspard Kœnig décape avec une acuité acide les images d'Épinal de la campagne que les néoruraux se projettent et dépeint avec non moins de mordacité cette nouvelle communauté champêtre (Léa la naturopathe vaut son pesant de cacahuètes bio). Quand bien même il mettrait en scène des protagonistes bercés par des clichés d'utopie verte, Kœnig ne les traite jamais comme des stéréotypes, il leur insuffle des âmes pétries de contradictions et les dote de caractères traversés d'attendrissantes failles. Il y a plus de doux que d'aigre dans ce livre et la nature demeure quoi qu'il en soit une source d'émerveillement et une vraie leçon d'humilité : « [...] La mésange célébrait le soleil en se cherchant un bon parti. [Pour elle] les humains courant quelque part sous la canopée ne représentaient que de vagues formes sans intérêt. »