Présenté le 6 décembre lors des Assises du livre numérique, cette année dédiées à l’intelligence artificielle appliquée à l’édition, Geo Comix est un logiciel d’un nouveau genre : il détecte et analyse les éléments présents dans une planche de BD (cases, personnages, bulles, textes typographiques ou manuscrits…), puis en propose une version pré-traduite qui s’intègre dans les solutions logicielles les plus couramment utilisées dans le processus de traduction/adaptation, telles que InDesign.
Selon ses deux cofondateurs Denis Lefebvre et Samuel Petit, il se veut le « nouveau partenaire IA au service des équipes de traduction. » « Notre IA, qui s’appelle Geo, permet d’analyser tous les éléments présents sur une planche de bande dessinée, dont les textes dans et hors des bulles (onomatopées, etc.) », détaille Denis Lefebvre. La pré-traduction peut être rejetée ou éditée par le traducteur. « Nous ne vendons pas de la traduction automatique, nous vendons une pré-traduction dans une interface avec un tracking d’erreur », insiste quant à lui Samuel Petit, qui tient également à rassurer les traducteurs : « Une IA fera toujours des erreurs. Le but n’est pas de remplacer les traducteurs dont la valeur ajoutée demeure inatteignable, mais d’éliminer les tâches les plus fastidieuses. »
Au service de la chaîne du livre
Ainsi, selon ses fondateurs, Geo Comix est d’abord « un outil au service de la chaîne du livre pour accélérer les processus en traduction, lettrage ou coordination éditoriale ». Plus que les fonctionnalités de pré-traduction, c’est d’ailleurs cet aspect du logiciel qui a séduit au premier chef les éditeurs. Adopté par Europe Comics, collectif européen de publication numérique en langue anglaise rassemblant huit pays et initié par Médiatoon (propriété du groupe Media Participations), le logiciel permet des gains de productivité estimés entre +15 et + 30 %. « L’outil et son ergonomie intégrant l’image nous aident à gagner du temps dans toutes les étapes de suivi de la production avec les éditeurs, traducteurs, correcteurs et lettreurs, mais aussi en qualité pour chaque intervenant », détaille Sophie Castille, directrice des droits internationaux chez Mediatoon, et coordinatrice d’Europe Comics.
Le logiciel continue par ailleurs d’être amélioré. Il devrait par exemple intégrer d’ici janvier 2022 une fonctionnalité d’annotation des révisions. La demande est venue d’Europe Comics, dont une centaine de titres traduits l’ont été en utilisant ce nouvel outil, soit environ 50 % de sa production annuelle totale.
Accueil mitigé des traducteurs
Malgré cette montée en puissance au sein de Mediatoon, Geo Comix a été diversement accueilli par les traducteurs. Sur la base du volontariat, environ un tiers d’entre eux l’ont adopté chez Europe Comics, les deux tiers restants préférant pour le moment conserver leur manière de travailler habituelle. « L’existence des traducteurs/adaptateurs n’est pas remise en question par l’intelligence artificielle, insiste Sophie Castille. La plus-value du logiciel repose surtout sur le temps gagné en aller-retour entre les équipes. » Convaincus ou non, les traducteurs ne devraient pas avoir d’autre option, à moyen/long terme, que de s’adapter au nouvel outil. Media Participations réfléchit en effet à étendre l’utilisation Geo Comix à d’autres marques du Groupe. Plus de 1 000 titres par an pourraient être concernés.
Geo Comix, de son côté, poursuit son développement en Italie, au Danemark et aux États-Unis. L’entreprise prévoit d’ouvrir son logiciel aux marchés du webtoon et du livre jeunesse. « Le webtoon en particulier est une priorité pour nous, ajoute Samuel Petit. Les prospects sont en forte demande. » L’entreprise anticipe aussi d’autres usages pour son logiciel. L’IA Geo pourrait aussi servir à améliorer la commercialisation des livres, papier comme numérique, en optimisant leur référencement dans les moteurs de recherche. Des usages patrimoniaux sont enfin envisagés, notamment en vue de répondre à l’objectif fixé pour 2025 de l’Accessibility Act, approuvé par la Commission européenne.