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Gérard Berréby (Allia) : « Il ne sert à rien de publier un excellent livre si c’est pour en vendre 600 »

Gérard Berréby, fondateur des éditions Allia - Photo Louise Scrima

Gérard Berréby (Allia) : « Il ne sert à rien de publier un excellent livre si c’est pour en vendre 600 »

Fondées par Gérard Berréby en 1982, les éditions Allia, qui tirent leur nom d’une marque de toilettes et d’urinoir – hommage transparent à la fontaine de Marcel Duchamp –, célèbrent 40 années d’indépendance construites autour d’un catalogue éclectique et exigeant.

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Par Charles Knappek,
Créé le 04.03.2022 à 18h01 ,
Mis à jour le 07.03.2022 à 18h51

Allia a 40 ans. Comment avez-vous traversé ces quatre décennies ?
Quand j’ai créé la maison, j’étais jeune, rebelle et insatisfait de ce que je voyais chez d’autres éditeurs. J’avais déjà en tête de constituer un catalogue cohérent, mais à l’époque évidemment je ne faisais pas de discours car tout était à construire. Les neuf premières années, j’ai publié une trentaine de titres en dilettante depuis mon appartement de la Goutte d’or, à Paris. L’édition était déjà mon activité principale, mais j’ignorais encore si j’allais poursuivre. Tout a changé en 1991 quand j’ai trouvé nos locaux de la rue Charlemagne où nous sommes encore ; c’est aussi à cette époque que j’ai recruté un premier collaborateur. Aujourd’hui, Allia reste une petite structure, avec quatre personnes qui m’accompagnent pour publier une trentaine de titres par an. C’est un rythme qui nous permet à tous de bien connaître les ouvrages que nous publions, et de les défendre.

Votre catalogue comprend aujourd’hui près de 1 000 titres. Quelles ont été les étapes marquantes de sa construction ?
Dans les années 1990, nous avons commencé à publier les œuvres complètes de Giacomo Leopardi, écrivain et poète italien du début du 19e siècle. C’est un chantier qui nous a pris une dizaine d’années. Son Zibaldone, qui rassemble 2 400 pages de fragments de son œuvre, s’est vendu à près de 7 000 exemplaires, ce qui est assez dément quand on y pense. En 1998, nous avons aussi publié Lipstick traces de Marcus Greil. Ce livre propose une histoire secrète du XXe siècle à travers ses mouvements artistiques, musicaux ou littéraires. Il a initié un mouvement dont je suis très fier. Un autre temps fort, il y a presque 10 ans, a été Les miscellanées de Mr. Schott, de Ben Schott, qui s’est écoulé à près de 300 000 exemplaires. Nous aurions pu nous laisser griser par ce succès, mais nous sommes au contraire restés très calmes, sans embaucher ni lancer des projets inconsidérés. Avec cette trésorerie, nous avons continué à nourrir notre catalogue sans courir le prochain best-seller.  

Comment définiriez-vous la ligne éditoriale d’Allia ?
Nous évitons de suivre les tendances. La maison est indépendante financièrement et ne se rattache à aucune structure universitaire ou politique qui lui donnerait une orientation. Nous n’avons pas de collection, ni a fortiori de directeur de collection, notre politique est d’aller chercher la singularité, c’est notre raison d’être. La question de la faisabilité ou du seuil de rentabilité n’entre pas en ligne de compte, l’unique critère est l’intérêt du livre qu’on nous propose. En littérature française par exemple, nous n’acceptons pas les manuscrits d’auteurs ayant déjà été publiés. Ce rôle de découvreur est plus risqué, mais c’est ce qui nous a permis de publier de jeunes auteurs talentueux comme Simon Johannin, dont le premier roman L’été des charognes a reçu un excellent accueil public et critique lors de sa parution en 2017. Nous publions désormais les livres qu’il coécrit avec sa compagne Capucine Johannin.

Et votre stratégie commerciale ?
Je n’établis pas de différence entre les parties dites noble (l’éditorial) et vulgaire (la promotion de nos livres). La promotion de notre catalogue est primordiale. Il ne sert à rien de publier un excellent livre si c’est pour en vendre 600 exemplaires. A ce titre, nous pouvons compter sur le soutien d’Harmonia Mundi et sur le relais des libraires qui mettent régulièrement nos livres en avant. J'ajoute que l'intégralité de nos titres restent disponibles, qu'ils mettent trois mois ou vingt ans à voir leur tirage s'épuiser.

Comment avez-vous traversé la crise sanitaire ?
En 2021, le chiffre d’affaires s’est élevé à 1,5 million d’euros. Nous avons maintenu la quasi-totalité de notre production pendant la crise et nous retrouvons maintenant notre rythme de croisière.

Que prévoyez-vous pour l’anniversaire de la maison ?
Nous mettons à disposition un présentoir en bois et une affiche dans 200 librairies ; nous offrons aussi le Questionnaire de Marcel Proust pour l’achat de deux livres Allia. L’opération est menée en bonne intelligence avec notre partenaire historique Harmonia Mundi. Le Questionnaire a été tiré 9 000 exemplaires dans une belle édition avec rabats ; nous avons l’habitude d’organiser ce genre d’opération-cadeau avec des taux de retour qui n’excèdent pas les 20 % et un effet coup de pouce appréciable sur les ventes en librairie.

Après 40 ans à la tête d’Allia, envisagez-vous de passer la main ?
Pas pour le moment. Danielle Orhan, qui a rejoint Allia il y a 12 ans, est devenue mon associée il y a quelques années. Elle est appelée à me succéder le jour, encore lointain, où je me retirerai.

 

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