22 A OÛT - ROMAN France

Cécile Guilbert- Photo NICOLAS GUILBERT/GRASSET

Souvent Cécile Guilbert s'est regimbée contre le genre totémique qu'est en littérature française le roman. Label apposé à tout bout de champ à l'autobiographie d'untel, au témoignage d'unetelle. Si l'on nuance en parlant d'auto fiction, on prend toujours le soin de se ranger sous la prestigieuse nomenclature romanesque. L'auteure de nombreux essais, sur Guy Debord, Saint-Simon, Laurence Sterne..., et d'un roman, Le musée national (Gallimard, 2000), ne se soucie guère de savoir dans quelle catégorie paraîtra son nouveau livre, Réanimation. Elle l'a écrit comme un récit, puisqu'il s'agissait de raconter l'expérience de l'hospitalisation de l'homme qu'elle aime. Mais on est loin du naturalisme plat, cette exhaustivité rébarbative qui croit à l'égalité des faits. Qui dit récit ne retranche rien à la liberté de la langue, à ses rêveries, à ses inventions.

Après deux ans de galère pour trouver une maison d'édition qui veuille bien accueillir son projet fou sur Andy Warhol, alliant texte, jeux typographiques et images, Cécile Guilbert voit enfin sortir son "essai graphique". Son mari, photographe, qui l'aida sur la maquette de Warhol spirit (Grasset, 2008), lui, embarque dans une autre galère : la maladie. Le compagnon de vingt ans qui a su être "[son] frère, [son] fils, son père, [son] complice inégalé" a toujours été d'une formidable vitalité, "animé d'une gestuelle si déliée qu'il semble voltiger dans l'espace comme un papillon ivre, un ludion enfourchant l'univers dans sa ruée". Douleurs à la mâchoire, ganglions gonflés, le médecin de quartier pense à une angine, lui prescrit des anti-inflammatoires, rien de grave. "Blaise n'est pas de ce bois dont on fait les cercueils." Mais deux jours plus tard, le visage est tout boursouflé, c'est Elephant Man ! Diagnostic d'une amie médecin : cellulite cervicale, une pathologie rare qui envoie des fusées infectieuses ravageant les chairs du malade. Les tissus du cou sont atteints et bientôt ceux du thorax. Il faut opérer d'urgence. Tout va si vite et si lentement : "Le réel se percute souvent au ralenti, dans la ouate, comme en rêve." Blaise, au sortir du bloc opératoire, est un gisant criblé de tuyaux et de sondes. Ce n'est que le début. Pour stopper la maladie, il faut que le patient soit maintenu dans un coma artificiel afin d'être opéré jusqu'à éradication totale des zones infectées. Cécile Guilbert s'est muée en Pénélope attendant le retour de son Ulysse du pays des morts : mais elle n'a pas le coeur à l'ouvrage. Allers et retours entre chez elle et le service "réa" de l'hôpital Lariboisière, promotion de Warhol spirit (où l'éclat de son esprit ne fait que mieux masquer la grisaille de son âme), errance dans une vie sans l'autre et pourtant emplie de sa charnelle mémoire : "Cette galaxie que j'explore peu à peu, où l'ancienne présence de Blaise ne se manifeste plus qu'en creux, comme si son corps démoulé de partout n'habitait plus le mode qu'en négatif." Chaque visite au patient endormi est l'occasion pour la narratrice de raconter la peau de l'être aimé, de se réchauffer à la flamme de son souvenir encore vif, de déployer devant ce corps nu une infinie tendresse. Réanimation n'est peut-être pas un roman, c'est en tout cas un merveilleux roman d'amour.

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