Dans les archives de la misère, on trouve de tout. Du pire comme du pire. Guillaume Le Blanc a aussi trouvé de la persévérance dans celles d'ATD Quart Monde, l'espoir de s'en sortir, de vaincre le vortex social qui aspire ces sans-rien. Ils surnagent, presque par miracle, parce que des gens se décarcassent pour leur tendre la main, et quand on coule, c'est précieux. Ce livre l'est aussi. Parce qu'il nous dit sans ambages la réalité. « La pauvreté n'est pas une affaire d'assistance, elle est affaire d'existence. » Le problème est là. On ne veut pas y croire. Or ce n'est pas une question de croyance, la misère c'est du vrai, du lourd et bien sûr du politique comme nous le montre cet essai enlevé, profond et empathique. Peut-être est-ce pour cela que dans ces archives, quelqu'un a suggéré « que les élus effectuent des stages de pauvreté pour qu'ils prennent véritablement conscience de la vie sans argent ».
Nos sociétés individualistes ont mis des filtres pour ne pas être assombries par ce soleil noir. La pauvreté se dérobe à nous comme un territoire réservé aux associations. Pourtant « la vie pauvre n'est pas une pauvre vie ». Ce qui ne veut pas dire que la vie pauvre est une sinécure. Guillaume Le Blanc enseigne la philosophie à l'université de Paris-Est Créteil et il est l'auteur d'ouvrages remarqués comme Vies ordinaires, vies précaires (Seuil, 2007) ou L'invisibilité sociale (PUF, 2009). Il sait que les mots ont un sens. Celui de pauvre est piégé, car il est trop large, trop imparfait pour dire la réalité d'une situation précaire. En revanche, la violence est une composante de cette précarité. « Une histoire politique de la pauvreté ne peut être qu'une histoire de la violence économique exercée sur les pauvres. »
Des plébéiens sur l'Aventin aux « gilets jaunes », Guillaume Le Blanc déroule une longue chronologie. Mais surtout, il fait tomber les masques. Il ne se complaît pas dans la description impressionniste des pauvres où l'on va à la pauvreté comme on va au zoo. Il préfère d'ailleurs le terme d'« éprouvé ». Un anthropologue comme Patrick Declerck parlait de « naufragés » à propos des clochards parisiens au début du XXIe siècle. On voit bien la nuance : le naufrage vous emporte, l'épreuve vous désigne. Avec une belle énergie et beaucoup de références à la littérature, mais aussi à Michel Foucault ou à Pierre Bourdieu, Guillaume Le Blanc déplace le sujet. Avec lui, le pauvre existe avec nous parce que nous sommes peu si nous n'avons pas la conscience de ceux qui n'ont rien.
Les pauvres écrivent rarement leur histoire, mais c'est en train de changer et de nombreuses personnes osent maintenant évoquer leur pauvreté, sur les réseaux sociaux ou lors de rassemblements. Elles brisent le silence comme le fait Guillaume Le Blanc dans ce livre sur cette zone grise de la « vie-survie », qui décrit « l'ensemble des tentatives pour donner forme à un droit à l'existence affirmé par celles et ceux qui n'ont rien ou pas grand-chose ».
La solidarité des éprouvés. Pour une histoire politique de la pauvreté
Payot
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21 € ; 304 p.
ISBN: 9782228931649