Pendant la construction de son Jardin des tarots qui s'est étalée sur près de vingt ans, Niki de Saint Phalle (1930-2002) a vécu quelque temps dans le ventre de L'impératrice et dormi dans le sein droit de sa sculpture matrice monumentale. C'est là, dans les collines toscanes, parmi les vingt-deux arcanes du jeu, que l'a rejointe Gwenaëlle Aubry. C'est de là que la philosophe et écrivaine, une semaine de mai 2019, quarante ans après le début du chantier, est partie sur les traces de l'artiste franco-américaine qui considérait ce projet collectif comme son « autobiographie astrale ».
Ce jardin, Niki de Saint Phalle l'appelait son « destin ». Elle l'avait rêvé comme « un jardin de joie », « un jardin des Dieux » dès le milieu des années 1950 et sa première rencontre avec l'œuvre de Gaudi puis celle du facteur Cheval, avant que les Tirs et surtout les Nanas ainsi que ses créations avec son compagnon et complice Jean Tinguely ne lui apportent la reconnaissance. Gwenaëlle Aubry n'est pas entrée seule dans les secrets du jardin qu'ont dévoilés pour elle certains de ses artisans historiques. Elle était accompagnée de celle qu'elle nomme « la Petite », cet « enfant intérieur » qui la relie à Saint Phalle, « reine de la tribu de l'enfance ».
Le sous-titre Monter en enfance le dit bien : pour Aubry, l'artiste a créé « propulsée par l'enfance ». Lestée d'un legs douloureux, abusée par son père à 11 ans, maltraitée par sa mère, elle a vengé son « enfance-monstre » mais sans ressentiment, par transmutation. Elle l'a « réparée par le mythe », par le rite, par le jeu. Dans ce récit hommage où elle souligne notamment les points communs entre Saint Phalle et Sylvia Plath à qui elle a consacré l'essai Lazare mon amour en 2015, l'écrivaine choisit de visiter ce jardin des merveilles en retournant les cartes au hasard. « Je joue avec Saint Phalle, un jeu nouveau, dont elle a édicté les règles, mais très ancien aussi, car ces règles sont celles, libres et impérieuses, du rêve et de l'inconscient : associations, condensations, qui mènent d'une figure à l'autre, et dont les tours et les détours contiennent les fragments d'un récit à recomposer. » Après Caroline Deyns dans Trencadis (Quidam, 2020), Gwenaëlle Aubry assemble à sa manière, ardente, les facettes du miroir Saint Phalle.
Saint Phalle. Monter en enfance
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Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20 € ; 288 p.
ISBN: 9782234088436