Habib Zoghbi, fondateur en 2000 et gérant de la librairie La maison du livre à Tunis, tient une place à part dans le secteur du livre en Tunisie. Editeur et distributeur (notamment en livres universitaires et professionnels), président du Syndicat des libraires et distributeurs du livre tunisien, sa librairie située avenue de la Terre dans la capitale est aussi membre de l’Association internationale des libraires francophones (AILF). Cette adhésion l’a fortement aidée durant la crise sanitaire. L’Etat tunisien, en pleine crise politique et économique, ne pouvait pas compenser la perte de chiffre d’affaires.
Etre libraire en Tunisie, c’est « savoir faire marcher » sa librairie explique-t-il à Livres Hebdo. Or « « la crise sanitaire nous a empêché de fonctionner normalement. Alors que le livre est un produit vital. »
Il y a entre 80 et 100 librairies en Tunisie, principalement dans le Grand Tunis, si on ne tient compte que celles qui vendent majoritairement des livres. Car « la librairie en Tunisie, dans notre culture, notre inconscient, c’est de la papeterie. » Selon lui, elle est à repenser : « il faut fournir beaucoup d’efforts pour que le livre soit à la portée des tunisiens. »
Pour Habib Zoghbi, « Le problème c’est la diffusion, notamment le prix des livres venus d’Europe. Il faut favoriser les queues de tirages et les coéditions. Les livres importés sont trop chers pour nous. Il faut trouver d’autres moyens pour diffuser le livre. » Et de prendre un exemple : « Les classiques en livre de poche, libres de droits, se vendent un euro et se vendent bien. Il faut pour ça qu’il reste aux programmes scolaires. C’est l’avenir de la langue française qui est en jeu ». Il ajoute : « Les anglosaxons ont tout compris : ils bradent de 20% le prix du livre y compris dans les pays francophones. Et au final, ils vendent que leurs homologues français. Pour résister, il faut des éditions locales. »
Orientation vers la jeunesse
Mais c’est aussi un problème de logistique (lenteur des transports et du dédouanement) et de remises accordées par les distributeurs, comme il le précise.
« Il faut créer un tissu de lecteurs, et s’orienter vers les tout petits : c’est une éducation, à condition qu’elle soit accessible. Les moyens arriveront s’il y a des résultats » affirme le libraire. C’est ce qu’il fait depuis des années : « « Nous ciblons la jeunesse. Les adultes, c’est foutu. Il y a l’élite qui peut s’offrir un produit de luxe. Mais il faut savoir faire venir les jeunes en librairie. Pour ma part, je m’appuie sur les associations, sur tout le territoire tunisien, mais aussi les écoles, les lycées... »
Ainsi, il assure le transport, le petit déjeuner pour que les écoliers, collégiens et lycéens viennent découvrir sa librair : « il faut les laisser circuler dans la librairie, les inciter à la lecture avec des petites notes, des cartons annotés ». Il organise des opérations spéciales, autour d’Harry Potter avec Gallimard jeunesse, ou avec des leçons de philosophie où chaque jeune participant s’exprime dans la langue qu’il souhaite. Seules limites à la liberté d’expression : l’antisémitisme, l’obscurantisme et le terrorisme.
« Acheter des livres n’est pas forcément obligatoire. Je propose une incitation à l’amour des livres. Mais je constate, au bout de deux trois mois, que des bibliothèques sont installées dans les écoles. »