Ecrits juifs certes, mais surtout écrits politiques. Les articles réunis dans ce volume nous permettent d'entrer dans l'intériorité d'Hannah Arendt (1906-1975), de comprendre combien et comment le judaïsme fut le socle de sa pensée, l'élément déterminant pour saisir l'instant présent. Des années 1930 aux années 1960, de la montée du nazisme au procès d'Eichmann, on mesure le chemin intellectuel parcouru par cette philosophe qui forgea le concept de totalitarisme, et on en vérifie d'autant plus la constance.
Indépendante - elle formulera la conception du "Juif paria" - Hannah Arendt se frottera à la réalité du monde en fonction de sa propre sensibilité plus que des dogmes ou des idéologies. "Je n'appartiens à aucune organisation et je ne parle jamais qu'en mon propre nom", écrira-t-elle à Gershom Scholem lors de la polémique qui suivit la parution de son Eichmann à Jérusalem, où elle reprochait aux Juifs de n'avoir pas suffisamment résisté aux nazis.
Au coeur des tourments du XXe siècle, les peurs d'Hannah Arendt se situaient à la hauteur de ses espérances pour l'avenir d'un judaïsme totalement intégré dans le monde moderne tout en sachant faire entendre sa différence. On sent bien qu'elle fait sienne la citation de Judah Magnes dans les années 1950 : "Quel bienfait pour l'espèce humaine si les Juifs et les Arabes de Palestine se liaient d'amitié et coopéraient pour faire de cette Terre sainte une Suisse florissante et pacifique au coeur de cette ancienne voie à mi-chemin entre l'Orient et l'Occident."
On trouvera dans cette moisson d'essais des contributions extrêmement critiques à l'égard du sionisme, sa vision de l'Allemagne, son expérience des Etats-Unis ainsi que les trois articles publiés en français dans Le Journal juif en 1935, quelques années avant son internement en 1940 au camp de Gurs, dans les Pyrénées, d'où elle s'enfuira pour gagner l'Amérique. A signaler aussi la première partie d'une étude inédite en français consacrée à l'antisémitisme.
Sous le titre Le musée imaginaire d'Hannah Arendt, Bérénice Levet nous propose une visite inspirée des lectures, des musiques ou des peintures qui nourrissent la pensée de cette contemporaine capitale. L'Evangile de Luc, Virgile, saint Augustin, Kafka, Faulkner et Nathalie Sarraute l'ont inspirée. Le Messie de Haendel l'a transportée et les autoportraits de Rembrandt lui ont appris à regarder autrement.
L'oeuvre d'art fut pour elle un objet de pensée, ainsi qu'elle le disait dans Condition de l'homme moderne. Une réflexion qui renvoie à ces Ecrits juifs, c'est-à-dire à la matrice d'une oeuvre importante toujours commentée, toujours contestée, toujours revigorante. "Le sens humain du réel exige que les hommes actualisent le pur donné passif de leur être, non pas afin de le changer, mais afin de l'exprimer et d'appeler à exister pleinement ce qu'il leur faudrait de toute manière supporter passivement." En somme, agir en restant ce que l'on est en sachant ce que l'on a été.