4 NOVEMBRE - CORRESPONDANCE France

Cette Correspondance entre Gaston Gallimard et Jean Paulhan, c'est la pièce capitale qui manquait au dossier du second. Elle permet de mieux comprendre sa personnalité et le rôle exact qu'il joua à la NRF et chez Gallimard durant presque un demi-siècle. Depuis sa rencontre avec Gaston à la fin de 1919 et son embauche à la revue jusqu'à sa mort en 1968. Une longue histoire qui commence comme un coup de foudre, et qui finit en désamour : «Mais Gaston m'aime moins, ou plus du tout, et j'en suis malheureux", écrit ainsi en 1966 un Paulhan malade, épuisé et mis sur la touche, s'adressant à Jeanne Gallimard, la femme de Gaston. On constate d'ailleurs que plus Gaston s'éloigne de lui, plus il noue des liens avec d'autres interlocuteurs, comme Claude, le fils du patron, et sa femme, Simone. Résister, occuper la place coûte que coûte, se rendre (se croire) indispensable, telle fut la stratégie de Paulhan. Qui se soldera par une série d'échecs, d'humiliations et de frustrations.

Gaston Gallimard et Jean Paulhan n'étaient pas du même milieu, n'avaient pas le même caractère ni la même position sociale. L'un était un riche entrepreneur bon vivant et curieux de tout, qui bâtit une magnifique maison d'édition grâce à quelques cofondateurs actionnaires (Gide, Schlumberger et quelques autres), dont Paulhan ne faisait pas partie. Quoiqu'ils aient longtemps entretenu des relations affectueuses, ils n'étaient pas amis. L'un était le patron, l'autre son employé. Certes fort utile, qui assuma la direction effective de la NRF (longtemps cependant dans l'ombre de Gide), attira et publia de nombreux auteurs majeurs chez Gallimard (Queneau, Mandiargues ou Ponge pour ne citer que quelques stars) en veillant jalousement à l'indépendance de la revue par rapport aux éditions. Jusqu'en 1966, quand ce sujet devint un casus belli de plus entre Gaston et lui, et qu'il note qu'Arland, son codirecteur, se conduit "comme un salaud".

La grande période Paulhan à la NRF court de 1920 à la guerre. C'est là qu'il peut apparaître tout-puissant, novateur. Ensuite, la revue, à cause de l'épisode collaborationniste sous Drieu, est interdite jusqu'en 1953. Dans l'ombre, Paulhan a oeuvré avec Gaston à cette reparution de la NRF. Il y travaillera encore d'arrache-pied, la curiosité toujours en alerte. Mais leurs rapports vont se dégrader, par crises successives, jusqu'à la quasi-rupture.

En 1958 - au moment même où il fait venir Mandiargues, auteur chez Robert Laffont, et repère un certain Philippe Joyaux, alias Sollers, hélas sous contrat au Seuil pour cinq livres -, Paulhan rate son élection à l'académie Goncourt. Gaston n'aurait-il pas assez mobilisé tous les leurs ? Viennent ensuite des problèmes avec Queneau, et sa "muflerie » à l'égard de son mentor. Et enfin, en 1963-1964, la grande crise. Paulhan, qui se rêvait dans la "Pléiade", se voit contraint, devant le peu d'enthousiasme de la maison à l'égard de ses éventuelles ?uvres complètes, d'accepter l'hospitalité de Claude Tchou ! Quant à son élection à l'Académie française, Gaston - pas plus que Ponge - ne la lui a jamais pardonnée, considérant que ce n'était pas digne de l'auteur des Fleurs de Tarbes.

La messe est dite : Paulhan, de plus en plus souffrant, auteur mal considéré chez Gallimard (il fait remarquer à Gaston qu'il n'a même pas publié son Discours de réception, contrairement à l'usage) perd peu à peu tout pouvoir à la NRF, où on refuse ses notes de lecture ! Il n'a plus qu'à s'éloigner et à disparaître. Gaston, lui, tiendra encore la barre jusqu'à sa mort, en 1975.

Les dernières
actualités