Mignon mais pas trop. Née au milieu des années 1960, la revue japonaise Garo a favorisé l'émergence des mangas pour adultes, notamment en popularisant le genre gekiga et ses auteurs phare Yoshiharu Tsuge, Yoshihiro Tatsumi, Takao Saitô... S'y sont également développés d'autres courants, tels l'ero guro (« érotique gore ») ou encore le heta-uma (« mal fait bien fait ») dont Hideyasu Moto est l'un des héritiers. C'est donc tout naturellement dans Garo que ce mangaka et illustrateur né en 1969 a commencé à être publié en 1995, avant de rejoindre la revue d'avant-garde AX. Première parution de l'auteur en France, ce recueil Une chouette vie rassemble des récits du début de sa carrière, pour certains retravaillés, et même pour l'un d'entre eux complété par une suite datant de 2012. Scénarios fous et esthétique bancale, à cheval entre le kawaii et l'approximatif, sont les piliers de ces histoires courtes, délirantes à souhait. Mais il ne faudrait surtout pas se laisser abuser par le dessin enfantin et l'humour absurde d'Hideyasu Moto. Derrière ses personnages guillerets, aux bonnes têtes d'animaux ou de petites figurines, se cachent des individus tristes, méchants, égoïstes, machiavéliques, à travers lesquels Hideyasu Moto brocarde les travers de ses contemporains et de la société. Ainsi, dans « Hashizume est trop mignon », aventures surréalistes d'un lapin vraiment choupi, l'auteur égratigne l'impitoyable monde du travail des commerciaux. « Hiko part en voyage » décrit une relation père-fils tordue sur fond de divorce, « J'ai trouvé de l'argent » évoque la pauvreté. « Party lover », dans lequel se retrouvent deux anciens camarades d'école aux réussites opposées, traite de façon acide et violente de l'ascension sociale et de la conscience de classe. C'est aussi le sujet de « Golden Slumber », récit SF dans lequel un enfant essaie d'ouvrir les yeux à son père sur sa condition de sous-fifre. Chez Hideyasu Moto, la gentillesse confine à la faiblesse et finit toujours bafouée, jamais récompensée - un Vénusien accueilli comme un prince dans une sympathique famille terrienne n'hésite pas à donner le feu vert à l'extermination des Terriens (« Ton ami »), le copain moche d'une bande d'adorables créatures ne pense qu'à les tuer (« Des amis trop mignons »)... Dans les univers parallèles d'Hideyasu Moto, joliesse, bonheur et légèreté ne sont qu'apparences dissimulant une réalité désespérante.