"Après maintes tribulations, je suis arrivé, à 55 ans, à organiser mon existence et mes activités suivant un schéma auquel j'avais longtemps rêvé : une part pour l'écriture, une autre pour l'édition." C'était en 1981, dans Livres Hebdo. Actes Sud avait trois ans et son fondateur, Hubert Nyssen, allait apprécier des années durant avec un égal plaisir sa totale immersion dans le monde du livre.

A l'heure de sa disparition, c'est bien cette idée de plaisir qui reste de l'éditeur à la pipe, gentleman-farmer savourant avec la même gourmandise le paysage solaire et tourmenté des Alpilles et les textes qu'il découvrait. Du premier jour au dernier, malgré l'inquiétude qu'a pu susciter parfois cette aventure dans laquelle il avait embarqué ses proches, il ne s'est jamais départi du petit sourire en coin et du regard pétillant qui naissait immanquablement à l'évocation d'un livre qu'il aimait.

Cet épicurisme soigneusement entretenu ne doit pas cacher le farouche entêtement qu'il a dû déployer pour vaincre les sceptiques et faire taire les jaloux. Pour imposer, envers et contre tout, son choix : créer une maison d'édition ambitieuse ailleurs qu'à Paris.

Installé, comme il aimait le dire, "sur la rive gauche... du Rhône", Hubert Nyssen est à l'origine de la plus belle réussite éditoriale de ces trente dernières années.

Editeur heureux, ayant enfin trouvé "un endroit où aller", pour reprendre le nom de la collection qu'il avait créée après avoir cédé les rênes de la maison à sa fille Françoise, en 1998, Hubert Nyssen fut aussi un éditeur d'une remarquable cohérence. Plaçant l'écriture et la création littéraire au-dessus de tout, respectueux du livre en tant qu'objet, il avait misé dès le départ sur les libraires, conscient de leur importance fondamentale comme relais entre l'éditeur et le lecteur. Plus de trente ans après, ce lien privilégié d'Actes Sud avec les libraires reste l'une de ses caractéristiques.