Roman noir

Hugues Pagan, « Le carré des indigents » (Rivages Noir) : Retour au bunker

Hugues Pagan - Photo HUGUES PAGAN

Hugues Pagan, « Le carré des indigents » (Rivages Noir) : Retour au bunker

Parmi les flics auteurs de polars, Hugues Pagan est un orfèvre, qui campe ici un enquêteur traumatisé par la guerre d'Algérie. Tirage à 8000 exemplaires.

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Par Cédric Fabre
Créé le 07.12.2021 à 11h00

L'ex-professeur de philosophie et ex-inspecteur de police Hugues Pagan est un cas à part dans le paysage du polar français. En raison de la densité émotionnelle et du souffle glacial qui parcourent ses - trop rares - romans, et surtout parce qu'il se serait presque dédoublé en créant le personnage de Claude Schneider, un flic aussi sombre et cabossé qu'il peut être sensible et humaniste.

Hanté par la guerre d'Algérie, qu'il a faite à 22 ans, Schneider est de retour après avoir disparu dix ans : « La Ville l'attendrait avec ses lumières et ses grands bras glacés. Elle viendrait à lui et l'environnerait de toutes parts, comme une amante attentive et soucieuse, avec des ferveurs de chambre froide. » C'est le mystérieux Monsieur Tom, dont on dit qu'il règne sur une partie de la Ville, qui conduit Schneider au « Bunker » - le commissariat. On ne sait quels liens secrets unissent les deux hommes... On va alors suivre Schneider dans ce qui ressemble à une traversée hallucinée, celle d'un homme qui plonge dans une enquête sordide liée au meurtre d'une adolescente, percutée par un engin militaire alors qu'elle rentrait du collège en Solex, puis frappée et égorgée. On suppose que le crime est le fait d'un rôdeur, avant qu'un pauvre type ne s'accuse finalement du meurtre, un clodo persuadé d'être le général Rommel. Non seulement Schneider ne croit à aucune de ces pistes, mais il enrage contre ses supérieurs sadiques qui ordonnent des rafles de sans-abri, tabassés dans les fourgons avant d'être relâchés dans le froid de la campagne.

Pagan, dont l'œuvre fait parfois songer à la série du 87e District d'Ed McBain, nous plonge dans l'atmosphère de cette France pompidolienne morose et inquiète, où l'on craint une insurrection des « rouges » et où les simples flics, qui sont des fils de prolos ou de réfugiés politiques, ne sont plus capables d'avoir une définition claire de l'héroïsme, encore moins de leur mission : leur hiérarchie est faite d'anciens résistants et d'anciens collabos qui travaillent ensemble, et la base ne sait pas toujours ce qu'elle est censée défendre, l'ordre social tel qu'il est établi par les notables, ou la justice. Schneider se heurte à ses chefs, parfois se laisse porter par des chansons de blues traînantes, en méditant ce vieux proverbe de Louisiane : « Si tu veux comprendre le présent, interroge les morts. » Il prend de plein fouet la douleur du père de la victime, et se demande s'il est encore capable de ressentir des émotions et d'aimer une femme.

Au fil d'une écriture poétique, parfois assez virevoltante pour donner le tournis, ce polar aussi beau qu'éprouvant porte pourtant en filigrane, malgré ses airs désabusés, ce qui ressemblerait presque à un salutaire idéalisme. Parmi tous les écrivains flics dont les romans se multiplient dans les rayons du genre, ce talentueux styliste qu'est Pagan demeure, avec l'ancienne commissaire Danielle Thiéry, celui qui, loin des vignettes héroïques et musclées, a avant tout décidé de faire œuvre de littérature.

Hugues Pagan
Le carré des indigents
Rivages
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 20,50 € ; 448 p.
ISBN: 9782743654931

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