Les trois premiers romans de Jon Kalman Stefansson traduits en français composaient une trilogie. Avec Entre ciel et terre (Gallimard, 2010, repris en Folio), La tristesse des anges (Gallimard, 2011, repris en Folio) et Le cœur de l’homme (Gallimard, 2013, repris en Folio), il était évident que l’Islandais était un conteur de haut niveau. Un prosateur, poétique en diable, capable de plonger le lecteur dans un univers où le feu brûle sous la glace, où les émotions affleurent.
D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, son nouvel opus, est plus beau encore. Cette "chronique familiale" traite de la vie et de la mort. "La vie est incompréhensible, et injuste, mais nous la vivons tout de même, incapables de faire autrement, elle est la seule chose que nous ayons avec certitude, à la fois trésor et insignifiance", lit-on dans les premières pages.
Partons sans tarder vers Keflavik, un port de pêche au fond d’un fjord, d’Islande, "terre âpre" avec sa lave, ses glaciers blancs, ses "roses immémoriales". Le protagoniste principal de Jon Kalman Stefansson avait quitté la petite ville à la fin des années 1990, en prenant un car pour Reykjavik, torturé par les chansons de Wham! diffusées sur l’autoradio. Aujourd’hui, Ari est éditeur et écrivain. Il approche de la cinquantaine, vit séparé de ses trois enfants devenus adultes et de son ex-femme, Pora.
Ari revient auprès d’Oddur, son père, dont il n’a jamais été proche. Un père ancien capitaine et armateur, qui lui a écrit qu’il allait bientôt casser sa pipe. Ari trimballe sa tristesse, ses regrets, sa douleur. Un jour, il lui a fallu tout balayer d’un revers de manche. Renverser la table du petit-déjeuner, sauter dans sa voiture et prendre la fuite pour aller se réfugier au bord de la mer. A un moment de son existence où il a ressenti une peur panique des "mardis sans relief", de la défaite. Du temps qui passe et lamine. Du désir qui pourtant est à l’origine de la vie. Car, on le sait, "rien n’est simple - jamais - dès qu’il est question de l’être humain".
Il faut la force de Jon Kalman Stefansson pour arriver à signer un roman qui s’interroge sur la condition humaine. D’un bout à l’autre, D’ailleurs, les poissonsn’ont pas de pieds est porté par une grâce inouïe, que vient rendre la traduction d’Eric Boury. Un grand livre, et un grand écrivain que l’on rêve de voir couronné par un prix d’automne. Al. F.