A la fois auteur de bandes dessinées (Ibicus chez Vents d’ouest, Les petits ruisseaux chez Futuropolis…) et cinéaste (l’adaptation de ses Petits ruisseaux, Ni à vendre ni à louer), Pascal Rabaté transcende cette fois les deux dans une sorte de pièce de théâtre sur papier. Finement travaillé à la gouache, son « leporello » (un livre accordéon, du nom du valet de Don Juan, qui présente sous cette forme à Donna Elvira la liste des conquêtes de son maître) anime un décor unique représentant, dans une rue, les façades mitoyennes de quatre immeubles. Bousculant la lecture classique de la bande dessinée, leurs fenêtres tiennent lieu de cases.
De petites intrigues et de multiples saynètes s’y développent. Elles sont déployées d’un côté du leporello en dix tableaux de jour, les « matinées », et de l’autre sur dix tableaux de nuit, les « soirées », tous muets, qu’il est recommandé de décrypter en retournant alternativement l’ouvrage à chaque planche pour respecter cette alternance des jours et des nuits. L’évolution des travaux de ravalement sur une des façades permet de ne pas se perdre dans la chronologie.
Le petit théâtre de Rabaté révèle des parades amoureuses et sexuelles, un adultère, des tensions et des conflits, et même un meurtre. On les découvre enchâssés dans des scènes et des gestes de la vie quotidienne qui dévoilent les habitudes et les manies des quelque 25 personnages, chiens compris, entre leurs appartements, le trottoir, le Lavomatic et le café cardinal du quartier. Le dessinateur s’est placé sous les auspices voyeuristes de l’Alfred Hitchcock de Fenêtre sur cour, et ludiques de Jacques Tati. Les deux cinéastes ne cessent d’ailleurs de parcourir le plateau, y circulant comme chez eux.
Ultime clin d’œil, l’un des personnages, vissé devant l’écran de son téléviseur, consomme le jour la filmographie du premier, et la nuit celle du second.
Fabrice Piault