Transposer en bande dessinée un ouvrage philosophique est une gageure. Comment rendre vivant le texte sans le trahir, restituer les concepts tout en restant fidèle à l'auteur ? Dans la préface de son album, Jean Harambat avertit le lecteur : « La République de Platon ne peut pas donner une bande dessinée d'aventures. [...] La République, ce sont quelques hommes dans une villa du Pirée qui tentent de faire la clarté sur la question de la justice. C'est une aventure de l'esprit [...] ». Une aventure de l'esprit à laquelle Jean Harambat, qui avait déjà sillonné la Grèce antique sur les traces d'Ulysse (Ulysse, les chants du retour, Actes Sud BD, 2014), donne néanmoins le rythme d'une véritable fresque. Avec beaucoup de finesse, il parvient à transposer de façon attrayante les idées de Socrate sur la justice et la cité, les questions qu'il pose à ses interlocuteurs, les pièges intellectuels qu'il leur tend, les chemins de pensée sur lesquels il les amène.

Choisissant parfois d'utiliser des récitatifs pour récapituler ou anticiper la pensée du philosophe et pour expliquer certains points, il privilégie cependant les dialogues. Mais ici, pas de champs-contrechamps systématiques. Jean Harambat varie les plans, les angles. Ses personnages sont en mouvement. Socrate se gratte la tête, Thrasymaque s'emporte. La philosophie est vivante, jamais statique. En illustrant les exemples et les récits dont Socrate parsème son raisonnement (la légende de Gygès, l'allégorie de la caverne, le mythe d'Er...), Jean Harambat laisse libre cours à son imagination. Il dessine des vues d'Athènes, des scènes de rue, champêtres, maritimes, ou encore inspirées des céramiques grecques, toutes sublimées par la beauté des couleurs crépusculaires d'Isabelle Merlet. Une mise en scène de l'œuvre de Platon séduisante et enlevée, et cependant respectueuse de l'original.