Le manga est revenu à des ventes plus raisonnables mais toujours massives et inscrites dans la durée. Et les éditeurs de bande dessinée cherchent à garder et/ou renouveler un lectorat qui s'enfuit trop vite, à leur goût, du côté des séries japonaises. Ainsi, la BD jeunesse est plus que jamais au cœur des stratégies de diversification et d'innovation des grandes maisons.
Les nouvelles séries et one shot seront donc nombreux au Lombard (Dinodyssée, Aylin, Elsbeth, mais aussi une BD de l'Avent avec 24 histoires à desceller en attendant Noël), chez Glénat (Les licorniers, Les larmes du Yôkaï), Jungle (Étincelle, Le clan des Salamandres, Les enfants Sabletemps, Retour à Tomioka), Delcourt et Soleil (Les p'tits vétos dingos, Les enfants de l'empire, Anta, Collège Apocalypse). Idem du côté de Dupuis (Julia la seule), Rue de Sèvres (Jane face aux sirènes), Bayard jeunesse (Les Sœurs même pas peur) ou Gallimard BD avec Akissi de Paris.
Titres hauts en couleur
Sans oublier les pépites des maisons spécialistes aux titres hauts en couleur : Jeanjambe (Éditions 2024), Lili met les voiles (Biscoto), Florimonde et l'affaire Coquillette (L'Agrume) ou Mon nom est Billy des nuages (Maison Georges). Oxymore, de son côté, se dotera de deux collections jeune public, pour les primo-lecteurs (« P'tite Luciole ») et pour les 8-12 ans (« Luciole »).
Mais aujourd'hui, quand on parle de BD jeunesse, il faut entendre ce terme au sens large : les ados étant aspirés par l'efficacité du manga ou par la facilité du webtoon à scroller sur téléphone, les éditeurs occidentaux investissent dans le segment, si élastique en termes d'âge, du young adult (YA). Animé depuis quelque temps par Rue de Sèvres ou la maison spécialisé dans la BD américaine Kinaye, ce rayon vise les jeunes lecteurs à partir du lycée et sans vraiment de limite d'âge, avec des récits de genre (fantastique, romance...) ou qui parlent de leurs problèmes (sexualité, harcèlement, discriminations...).
Ainsi, on pourra y ranger à la rentrée des titres publiés par Dargaud (Les enfants du Solstice, Eden Glitter), Jungle (Ready or Not, Le phare), Sarbacane (Happy Endings, Mortelle mixtape, Invisible, ou l'adaptation du roman de Benoît Minville, Héros). Mais aussi Atrabile (Aux Abois), Gallimard BD (Haute enfance de Néjib) ou Bayard Jeunesse dans sa collection « Bande d'ados » (Mobilis). Urban Comics, via son label dédié Urban Blast, sera aussi présent avec Nights et L'étrange quotidien de Christopher Chaos.
Tout comme Delcourt, qui lance une collection ciblée YA : « Waves » publiera des « romans graphiques des premières fois » portés par « des héroïnes audacieuses mais souvent incomprises ». Fangirl, adaptation américaine du roman éponyme, en sera la tête de gondole et sera suivie par Brownstone, M is for Monster et Halfway There, qui traiteront de questions d'identité ou de problématiques LGBT+.
La réalité dépasse la fiction
Si les sujets de société pénètrent le rayon jeunesse, ils le font aussi parfois par le biais de documentaires, comme une Histoire de l'art au féminin attendue à la rentrée chez Casterman. Docus, témoignages, et plus largement non-fiction continuent d'ailleurs d'alimenter les catalogues, confirmant la tendance de la dernière décennie. Spécialisées dans ce champ, Les Arènes lancent la collection didactique « BD Psy », dont les premiers titres s'intéresseront aux traumatismes et aux troubles alimentaires.
Ailleurs, il sera question de sciences et d'environnement dans Zone critique (Delcourt), Comment les riches ravagent la planète (Seuil), Ressources, un défi pour l'humanité et Vertige (Casterman) ou L'éternité béante (Futuropolis). Des problématiques liées aux médias dans Les crieurs du crime (Delcourt), Qui m'aime me suive (Dargaud) ou Les réseaux sociaux et nos ados et La fabrique des news (Steinkis). De sociologie et de politique dans Champs de bataille : l'histoire enfouie du remembrement (Delcourt), Outre mères sur les avortements forcés à La Réunion (Vuibert), ou avec Une brève histoire de l'égalité d'après Thomas Piketty (Seuil). Mais aussi de la famille dans L'arnaque des nouveaux pères (Glénat), ou Il était une fois la famille (Casterman).
Sujets de société
Ou encore de justice dans Les femmes ne meurent pas par hasard (Steinkis) ou Sortir de l'ombre, une histoire de sororité en prison (La Boîte à Bulles). De l'école dans La jungle, Harcèlement scolaire, tu peux t'en défaire (Dargaud) ou Journal d'un prof à la gomme (La boîte à Bulles). De politique internationale avec Worm, une odyssée américano-cubaine (Bayard Graphic'), Maison blanche, en coulisses avec Obama, Trump et Biden (Delcourt).
Et avec le retour du reporter-dessinateur Joe Sacco, pour deux ouvrages chez Futuropolis : Guerre à Gaza et Souffler sur le feu sur la politique répressive du gouvernement indien. Au-delà des œuvres de terrain, quelques fictions s'emparent de sujets de société, comme Azur asphalte (Gallimard BD) sur le quotidien de la France des précaires, ou Neeting Life (Ki-oon) sur un homme qui se retire du monde pour vivre reclus dans son studio.
À ces grands sujets sociétaux viennent s'ajouter les livres de témoignages, qui illustrent parfois puissamment des thèmes délicats. Ainsi on note plusieurs livres de femmes, sur des sujets intimes, tels Impénétrable (Le Lombard), Éclore (Casterman), Oh Cupid (L'Employé du moi), Archéologie de l'intime (Dupuis), Petite grande (Glénat), En territoire ennemi (L'Association) ou Pauvre meuf (Delcourt). Auxquels s'ajoutent les livres autobiographiques de Gilad Seliktar (Premier baiser, dernier souffle) et Shaghayegh Moazzami (Les coquelicots de Ridgewood) chez Çà et là.
Des êtres et des lettres
La biographie dessinée s'avère l'autre pan de la non-fiction, et qui ne se tarit pas. En tête d'affiche, des artistes, de Modigliani (Steinkis) à Piero Manzoni (Sarbacane) et Yves Saint-Laurent (Smoking, par Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier, chez Albin Michel) ; des acteurs et cinéastes avec Belmondo et Romy Schneider (Glénat), Ava Gardner (Dargaud) ou encore Orson Welles (Delcourt). Sans oublier le pionnier de la photographie Eadweard Muybridge raconté par Guy Delisle (Pour une fraction de seconde chez Delcourt).
Mais aussi des écrivains comme L'intranquille monsieur Pessoa (Dargaud) ou Emily Dickinson (Jungle), et des journalistes tels l'Américain qui a enquêté sur l'apparition du sida Randy Shilts (Glénat). Ou Globe-trotteuses. Le tour du monde de Nellie Bly et Elisatbeth Bisland, de Voloj et Rocheleau (Dargaud). Citons encore la mythique Calamity Jane (Glénat) ou l'océanographe française Anita Conti (Casterman). Alors qu'une collection des « Héros de guerre » s'ouvre chez Grand Angle (groupe Bamboo) avec le héros de la Première Guerre mondiale Albert Roche.
Le foisonnement des biographies est à mettre en parallèle avec un rayon de BD historiques dépoussiéré, qui offre désormais une production dynamique, tant dans le champ de la reconstitution réaliste que dans la fiction aventureuse. C'est ainsi que Dupuis lance une collection autour de reportages ayant décroché le prestigieux Prix Albert Londres : le premier titre, Sur le front de Corée, sera inspiré des dix mois de correspondance de guerre d'Henri de Turenne.
Adaptations
Glénat poursuit son blockbuster maritime 1629, mais s'intéresse aussi à La Dernière Nuit de Mussolini et à La 3e Kamera, du nom des appareils dont les images ont pu documenter les crimes nazis. Dans Les évasions perdues (Rue de Sèvres), le journaliste Thomas Legrand racontera l'histoire de son père, retenu pendant l'Occupation dans un « camp-université ». Quant aux époux Frappier, ils concluent leur pointue trilogie chilienne avec Et que se taisent les vagues (Steinkis).
Des sujets historiques, on en retrouve également pléthore dans le flot toujours aussi abondant d'adaptations littéraires, comme Kinderzimmer d'après Valentine Goby chez Actes Sud. Une tendance de fond, qui se confirme avec quelques titres fameux : Sa Majesté des mouches ou Peter Pan de Kensington... Ou le plus contemporain : Mille femmes blanches, adapté de Jim Fergus, tous trois chez Dargaud. La poursuite du bonheur d'après Douglas Kennedy (Philéas), Oscar et la Dame rose d'Éric-Emmanuel Schmitt (Albin Michel) et chez Delcourt Grossir le ciel de Franck Bouysse ainsi que le best-seller de l'Italienne Elena Ferrante L'amie prodigieuse.
Récits autobiographiques
Alors que La Boîte à Bulles propose Le mystère Henri Pick d'après David Foenkinos. Ou qu'Urban choisit lui d'adapter la saga fantasy de Robin Hobb L'assassin royal. Gros programme d'adaptations également chez Rue de Sèvres avec Une rose seule d'après Muriel Barbery, et D'or et d'oreillers de Flore Vesco. Et chez Glénat avec Soleil glacé de l'auteur jeunesse Séverine Vidal ou Le voleur d'amour, roman de l'avocat Richard Malka... et un retour aux grands classiques avec Les travailleurs de la mer de Victor Hugo.
Tout comme chez Jungle avec Orgueil et préjugés et L'appel de la forêt. On s'intéressera aussi à la transposition du podcast La dernière nuit d'Anne Bonny, ou à celle du récit autobiographique de Stéphane Allix Nos âmes oubliées par Grégory Panaccione, au Lombard.
Polar et Imaginaire font de la résistance
Moins profuse, la bande dessinée de genre garde néanmoins une stabilité de production. Le western est toujours rare, mais remarquable, avec notamment Lawmen of the West (Bamboo/Grand Angle) ou l'hommage de Romain Renard à Hermann dans Revoir Comanche (Le Lombard). Le rayon polar se maintient lui aussi, avec un nouveau Nestor Burma de Tardi en star de l'automne (Casterman). Auquel s'ajouteront un puissant Gipi de Stacy (Futuropolis), l'intriguant De bruit et de fureur chez Glénat, le prometteur Le nirvana est ici (Seuil), et un joli programme américain chez Urban, avec Le Pingouin, Danger Street et Le Déviant.
Le fantastique et la fantasy sont toujours en forme chez Delcourt, avec Somna et Mémoires de Gris ou l'alléchant nouveau projet de Serge Lehman, Les navigateurs. Mais il faudra aussi compter sur Glénat avec Macrales et corbeaux ou Le Paris des dragons, sur Kinaye avec Ish & Mima, sur Kana avec Le secret de Scarecrow, ainsi que sur Drakoo avec Les mages de Bonaparte.
Magie minimaliste
Tout comme sur les éditeurs indépendants, qui n'hésitent pas à proposer des visions singulières d'auteurs, tels le premier livre d'Aude Bertrand Au travers du rayon (Éditions 2024), la magie minimaliste des Julys de Nylso ou la suite attendue des Contes du Marylène d'Anne Simon (Misma), les sorcières du Walicho de Sole Otero (Çà et là), ou encore Immatériel de Jérôme Dubois chez Cornélius.
La SF n'est pas en reste avec, entre autres, l'adaptation de l'univers d'Adam Roberts par François Schuiten, dans Compulsion (Dargaud) ou l'audacieuse suite du 1984 d'Orwell par Xavier Coste, baptisée Journal de 1985 (Sarbacane). L'Héritage fossile, Poussière d'os et Cosmic Detective débarqueront chez Delcourt, tandis que Le Lombard lancera la série MAD. Et Kana ravivera Capitaine Flam dans une création made in France : ce classique du manga revisité attirera sans doute davantage les ados d'hier (maintenant parents) que ceux d'aujourd'hui, mais on peut aussi voir ce projet comme une passerelle. Entre les âges, comme entre les continents.
Retrouvez en documents liés la liste des tirages à 100 000 exemplaires et plus ainsi que notre sélection de 10 albums de l'automne.
Les Humanoïdes associés, le cinquantenaire hurlant
Nés en 1974, Les Humanoïdes associés se sont fait discrets, en termes de nouveautés, depuis une dizaine d'années. Mais ils font vivre un catalogue qui compte des œuvres majeures signées Moebius ou Jodorowsky, et la renaissance de la revue Métal Hurlant leur a donné une nouvelle vigueur. De quoi fêter dignement leur demi-siècle, de septembre à juin prochains, avec un programme mêlant rééditions et propositions innovantes. Sont ainsi annoncées des éditions collector d'Arzach de Moebius ou du Bibendum céleste de Nicolas de Crécy, des intégrales du Monde d'Arkadi de Caza ou de trois œuvres de SF de Chantal Montellier sous le titre Social Fiction. De plus, une série de cinq Opus Humano remettra en lumière des récits oubliés, accompagnés de témoignages et d'anecdotes, sur 300 pages de la même facture que l'actuel Métal Hurlant. Enfin, cinq livres-posters, intitulés Des lendemains qui hurlent et illustrés par des pointures comme Julien Loïs ou Laurent Durieux, replongeront les lecteurs dans cinq décennies de pop culture.