Jean-Yves Mollier: "On ne lit plus en continu, mais par petites tranches"

Jean-Yves Mollier - Photo Olivier Dion

Jean-Yves Mollier: "On ne lit plus en continu, mais par petites tranches"

Jean-Yves Mollier est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles-Saint-Quentin- en-Yvelines.

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Par Laurent Lemire
avec Créé le 09.02.2018 à 01h00

Jean-Yves Mollier - J’ai abordé ce thème dans le dernier chapitre de Hachette, le géant aux ailes brisées (1). Lorsque Hachette rend les armes devant Amazon en 2014, une page se tourne. Le géant américain apparaît comme le nouveau cavalier de l’Apocalypse numérique. Avec lui, c’est effectivement un modèle qui s’éteint, ce modèle apparu à la fin du XVIIIe siècle avec l’invention du droit d’auteur et une économie de l’offre. Ce schéma disparaît lorsque ces nouveaux Léviathan du Web deviennent des prescripteurs. Jusqu’alors, les lecteurs se fiaient à des grands lecteurs, c’est-à-dire les critiques littéraires. Les réseaux sociaux ont bousculé tout cela par leur capacité à faire acheter des milliers d’exemplaires d’une œuvre sur le critère d’une reconnaissance collective. Evidemment, cela modifie aussi la création littéraire puisque les auteurs peuvent désormais se passer d’éditeurs et de relais médiatiques traditionnels.

La situation de la presse est dépassée. A l’ère du numérique, nous vivons dans un monde où chacun se croit expert, où chacun est habilité à donner son point de vue, notamment lorsqu’il s’agit de culture. Nous assistons donc plus à une crise de l’expertise qu’à celle de la presse, même si cette dernière est bien réelle. Cela s’inscrit dans un mouvement plus large qui entérine le développement de l’individualisme.

Il faut s’entendre sur ce point. Si on se place sur le plan quantitatif, on n’a jamais autant lu qu’aujourd’hui. Il y a quelques années, on lisait un journal en vingt minutes, puis ce fut la lecture sur les smartphones, enfin les tweets. On ne lit plus en continu, mais par petites tranches. Cela entraîne des mutations internes à la littérature, toujours en lien avec le développement de l’individualisme. Il faut se rendre compte que désormais une partie de la littérature ne passe plus par le papier, comme le démontre l’engouement pour l’autoédition via Amazon.

Notre système de lecture est en train de basculer. Lire la République de Platon sur rouleau, sur codex, sur papier ou sur écran, ce n’est pas la même chose. Les formes produisent du sens. Bachelard parlait de coupures épistémologiques en considérant qu’on ne pouvait penser le présent avec des modèles anciens. Il est certain que de nouvelles formes littéraires vont apparaître en rapport avec les bouleversements technologiques. Je ne suis pas pessimiste.

(1) Editions de l’Atelier, 2015.

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