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Liberté d’expression et liberté de publier

La liberté d'expression - Photo Adobe Stock

Liberté d’expression et liberté de publier

Un éditeur peut-il ne pas publier un texte qu’il a commandé ? Telle était la question au centre d’une affaire jugée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence opposant les organisateurs d’un colloque devant donner lieu à un livre et le professeur chargé d’en rédiger la synthèse. Explications.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 12.03.2025 à 10h22

L'affaire trouve son origine dans l'organisation d'un colloque scientifique consacré à la personnalité juridique de l'animal à l’université de Toulon, dont deux enseignants-chercheurs assuraient la direction scientifique. Ils avaient sollicité un professeur agrégé pour en rédiger la synthèse en vue d'une publication collective. Cependant, les organisateurs du colloque ont refusé d'intégrer sa contribution à l'ouvrage final, considérant qu'elle ne respectait pas les critères requis et contenait des affirmations erronées susceptibles de porter atteinte à la rigueur scientifique de l’ensemble des travaux.

Dans cette affaire, deux enseignants-chercheurs avaient organisé un colloque intitulé « la personnalité juridique de l'animal – Les animaux liés à un fonds » à l’université de Toulon. Ils avaient demandé à un professeur agrégé de participer à ce colloque et d'en faire la synthèse en vue de la publication d'un ouvrage. Une convention d'édition avait été conclue entre un éditeur et la Fondation Brigitte Bardot, précisant que les deux enseignants-chercheurs, directeurs de l'ouvrage, coordonneraient les travaux issus du colloque sous leur responsabilité scientifique et constitueraient le comité de lecture. Ils ont fini par informer le professeur agrégé que son intervention ne serait pas publiée dans l'ouvrage à venir parce qu'elle ne correspondait pas à la synthèse demandée et que les propos tenus lors de cette intervention étaient inexacts et formulés avec une intention de nuire à leurs travaux. En réponse, le professeur agrégé les assignait afin de les faire condamner sous astreinte à transmettre sa contribution à l'éditeur en vue de sa publication ou de réparer son préjudice moral et professionnel consécutif à leur refus.

Les animaux malades du colloque

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, par un arrêt en date du 6 juillet 2023, avait rejeté ces demandes en considérant que les directeurs de l'ouvrage, en vertu de leur responsabilité scientifique et éditoriale, disposaient d'une latitude suffisante pour sélectionner les contributions et garantir la cohérence de l’ouvrage final et qu'aucune faute contractuelle ne pouvait leur être reprochée dans l’exercice de cette prérogative.

Devant la Cour de cassation, le demandeur a invoqué plusieurs moyens de cassation, fondés principalement sur la violation des principes de bonne foi contractuelle, de liberté d'expression et de liberté scientifique. Il arguait notamment que la décision d’exclure sa contribution de la publication constituait une mesure arbitraire et injustifiée, visant à sanctionner ses prises de position et à restreindre sa liberté académique d'opinion. Selon lui, ce choix éditorial procédait d’une volonté de censurer ses idées, ce qui portait atteinte aux principes fondamentaux garantis par la Constitution et les traités internationaux.

Dans son arrêt (1ère Chambre civile, 26 février 2025, n° 23-21.522), la Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d’appel et rejeté le pourvoi. Elle a rappelé que, si un tiers à un contrat peut invoquer la responsabilité délictuelle d'une partie en raison d'un manquement contractuel lui ayant causé un dommage, il lui appartient d’en démontrer la réalité. En l'espèce, la Cour a jugé que l'exclusion de la contribution du professeur agrégé ne résultait pas d'un usage abusif de la prérogative éditoriale conférée aux directeurs de l’ouvrage.

Liberté d'expression et cohérence scientifique

La Cour a également affirmé que la liberté d'expression et la liberté scientifique, garanties notamment par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article L. 952-2 du code de l'éducation, n’avaient pas été méconnues. La décision de ne pas publier l’intervention du demandeur relevait de la cohérence scientifique et éditoriale de l'ouvrage et ne constituait pas une atteinte injustifiée à la liberté d’expression.

L'arrêt s'inscrit ainsi dans la jurisprudence constante qui protège la liberté éditoriale et l'autonomie scientifique des directeurs d’ouvrages collectifs. Il souligne qu’un refus de publication ne saurait être assimilé à une atteinte aux droits fondamentaux tant qu’il repose sur des critères objectifs et non discriminatoires. En l'espèce, la Cour a considéré que la décision d’exclusion de la contribution du professeur agrégé était légitime et justifiée par des impératifs de qualité scientifique, garantissant la pertinence et la crédibilité du projet éditorial.

Par cet arrêt, la Cour de cassation consolide le principe selon lequel les directeurs d’ouvrages disposent d’une marge d’appréciation importante dans la sélection des contributions destinées à la publication. Cette prérogative est toutefois encadrée par le respect des principes de bonne foi et d’absence de discrimination.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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