3 avril > Roman Inde

Le point de départ de Pour quelques milliards et une roupie, troisième roman de Vikas Swarup, fait irrésistiblement penser à son premier, Les fabuleuses aventures d’un Indien malchanceux qui devint milliardaire (paru chez Belfond en 2006), succès planétaire décuplé par le film (un peu simpliste) qu’en a tiré Danny Boyle, Slumdog Millionaire. Et ce n’est pas un hasard. Nombre d’écrivains indiens (Salman Rushdie, Vikram Seth, Sujit Saraf ou Rohinton Mistry, entre autres plumes) se sont fait une spécialité de ces grosses machines romanesques, intelligentes, bien construites, dont l’ampleur, la complexité, la multitude des histoires et des personnages tentent de rendre compte du pays lui-même et de sa réalité, pas toujours rose, sans indulgence. Ici, même, l’intrigue prend les allures d’un vrai jeu de massacre.

Un jour, à Delhi, la jeune Sapna Sinha, en train de faire ses dévotions à la déesse Durga, est accostée, en plein temple, par un drôle de type. Un certain Vinay Mohan Acharya, qui se prétend P-DG d’ABC, une entreprise qui pèse quelque 10 milliards de dollars, décidé à passer la main et qui recherche son successeur. Il aurait jeté son dévolu sur Sapna. Au début, elle refuse de le croire, d’envisager même sa proposition : moyennant 200 000 roupies d’acompte - une fortune pour une modeste vendeuse d’électroménager à 18 000 roupies par mois -, elle accepterait de subir sept épreuves, qui devront prouver ses qualités de manager, digne d’ABC.

Mais la malheureuse, orpheline de père, soutien de famille avec une mère malade et une sœur qui ne rêve que de faire carrière à Bollywood, a vraiment besoin d’argent. Les Sinha sont sur le point d’être expulsées de leur appartement de Rohini, cité-dortoir de banlieue. Sapna va donc se résoudre à accepter le pacte faustien, et ne s’en ouvre qu’à Karan, son meilleur ami dont elle est amoureuse en secret, et à qui elle pense pouvoir accorder une confiance absolue.

Sans rien faire pour, la voici embarquée dans six aventures tragicomiques où elle fait preuve d’autant de qualités : autorité, intégrité, courage, clairvoyance, ingéniosité et réactivité. Au passage, elle coudoie un échantillon de la population indienne guère reluisant : panchayats (assemblées villageoises) archaïques et vendues aux plus riches, prêtes à sacrifier une jeune fille, policiers corrompus (pléonasme), stars de Bollywood complètement hors du vrai monde, concepteurs de téléréalité particulièrement cyniques et immondes. Au passage, Swarup s’amuse avec Slumdog Millionaire.

Mais, à un moment, le roman vire au noir : Sapna va manquer se faire violer, tuer à plusieurs reprises, sa sœur Neha va être vitriolée. Elle se débat, sans plus savoir qui croire, qui manipule qui, et si Acharya est un homme sincère ou un escroc… Il faudra attendre la toute fin de ce thriller haletant pour qu’elle ait le fin mot de l’histoire - et le lecteur avec elle. Et que cette formidable héroïne puisse enfin oublier tous ses devoirs pour réaliser son rêve d’enfance.

Happy end, forcément, mais pour un grand roman. Tout sauf une bluette : un parfait révélateur de l’Inde d’aujourd’hui.

J.-C. P.

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