Quand s'achève Né au bon moment (1935-1975), le premier volume de ses Mémoires traduits en 2016, David Lodge a 40 ans et vient de connaître son premier succès littéraire. A la suite de ce récit de formation consacré aux années d'enfance et de jeunesse dans une famille de la minorité catholique anglaise, La chance de l'écrivain, le 2e tome de cette très consistante autobiographie couvre les quinze années suivantes et correspond à l'époque où le Britannique va publier ses romans les plus populaires, approfondissant la veine comique inaugurée avec La chute du British Museum, paru en 1965.
Avec des entrecroisements permanents entre la vie et l'œuvre, nous voilà à la fois au cœur du processus créatif de l'écrivain, du monde des lettres anglo-saxon des années 1980-1990 et de la vie intellectuelle mondialisée. Car à l'époque, David Lodge continue de mener de front une carrière académique (il sera titulaire pendant vingt-sept ans d'une chaire de littérature à l'université de Birmingham avant de se consacrer exclusivement à l'écriture), et la publication d'essais de théorie littéraire, de critiques dans différents journaux, de romans et bientôt de pièces de théâtre comme The writing game, montée en 1990 et parue sous le titre L'atelier d'écriture (Rivages, 2008).
Le milieu des années 1980, c'est donc le moment où la carrière de David Lodge romancier décolle, à partir d'Un tout petit monde, ce « projet de faire un roman comique autour de professeurs d'université qui se rendent à des colloques internationaux et associent leur promotion professionnelle au plaisir du tourisme et du flirt romantique ». Un campus novel où s'entrelacent toutes les vies de David Lodge et dont on suit en détail toutes les péripéties, de l'écriture à l'accueil critique, de la nomination au Booker Prize en 1984 jusqu'à l'adaptation en feuilleton télévisé. On voit ainsi l'universitaire-romancier empruntant à telle ou telle situation réelle des éléments qui s'agenceront ensuite, plus ou moins remaniés, dans la fiction. Voire qui seront imaginés avant d'être directement expérimentés, comme cette résidence d'écriture à la villa Serbelloni en Italie que l'écrivain fait vivre dans Un tout petit monde à son personnage d'universitaire américain Morris Zapp - qui se considère comme le seul spécialiste de Jane Austen -, avant que David Lodge n'y soit lui-même pensionnaire quelques mois plus tard sous le statut de professeur de littérature anglaise pour travailler sur... Jane Austen, passant sous silence, pendant son séjour, qu'il est l'auteur du roman qui vient de paraître. La vie privée est aussi toujours pudiquement reliée : la présence continue de sa femme Mary épousée en 1952, les trois enfants du couple dont le dernier, Christopher, est atteint du syndrome de Down, l'amitié avec Malcolm Bradbury et tant d'autres. Mais aussi les problèmes de surdité dont il commence à souffrir dans ces années-là et qu'il intégrera dans le roman La vie en sourdine en 2008.
L'âge aidant, associé sans doute aux contraintes de l'exercice autobiographique, ces Mémoires contiennent moins d'humour irrévérencieux, moins de mauvais esprit et plus de mélancolie que les œuvres de fiction de cette période, mais le sens de l'ironie des situations est intact. Fidèle à Rivages, qui réédite ce mois-ci en poche le recueil de nouvelles L'homme qui ne voulait plus se lever, David Lodge rend aussi hommage à Gilles Barbedette, son jeune éditeur mort en 1992, qui a acheté les droits de Jeux de société en 1990 et a fait de lui l'un des écrivains anglais préférés des lecteurs français. « En fait, j'ai joui en France d'une seconde carrière accélérée en tant que romancier tandis que ma première, dans mon propre pays, commençait inexorablement à fléchir. »
La chance de l’écrivain - Traduit de l’anglais par Maurice Couturier et Yvonne Couturier
Rivages
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 24 euros ; 560 p.
ISBN: 9782743647124