Excursion au bar-tabac. Avec le temps, tout part à vau-l'eau. Encore que Filumena ne s'imaginait pas à quel point : ses vieilles quilles lui font si mal qu'elle ne peut faire deux pas sans s'arrêter. S'acheter des cigarettes est devenu un calvaire. Ces trois cents mètres qui séparent son appartement du café Antoine se transforment en excursion atroce. À la douleur physique s'ajoute l'ennui de devoir croiser cette pipelette de voisine ou d'autres vivants qui l'interrompent dans sa propre conversation avec ses chers disparus. La vieille retraitée corse, retournée dans l'île après avoir été gardienne avec son feu mari au château de Versailles, explique : « Je sors [...] pour tous ceux que j'ai aimés. Je discute avec eux de ce que je vois. Je ne radote pas, je discute. » Pour le fils de l'héroïne éponyme du roman de Joël Bastard, elle est « folle » et ferait mieux de se procurer de belles lunettes à montures rouges qui, toujours de l'avis filial, « égaierait [s]a tête blanche toute fripée ».
La veuve en mission cigarettes se pose sur un banc. Refluent les souvenirs du village natal, de sa vie sur le continent. La surnommée Dévote l'aperçoit et lui dit combien elle a vieilli - « la garce de Ponte-Scogliu » fricotait avec « Père », alors que la mère de Filumena mettait au monde son douzième enfant ! Comme sa meilleure amie Andréa lui manque... Elles s'étaient offert des escarpins lorsqu'elles avaient réalisé que dans seize ans elles en auraient 70. Andréa n'est plus et Filumena a aujourd'hui bien au-delà. Du martyre de la cacochyme, Joël Bastard fait non tant une complainte sénile qu'une odyssée d'une truculente poésie.
Filumena
Belfond
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 20 € ; 208 p.
ISBN: 9782714403810