"Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance". Même de dimensions plus modestes, l'enfer vu par Chloé Schmitt n'a rien à envier à celui de Dante. Les affreux est en effet un roman noir et désespéré, d'où sourd une révolte viscérale et informelle contre le monde tel qu'il est, tel qu'il ne va pas. "Un siècle mou", comme écrit la jeune romancière, certes, mais aussi d'une dureté inhumaine. Plutôt que de régler ses comptes elle-même, Chloé Schmitt a préféré engager un porte-parole, placé dans une situation paroxystique. Un certain Alfonse Maubard, contrôleur dans le métro, victime un jour d'un AVC. S'il n'a plus l'usage de son corps, Alfonse conserve en revanche le plein emploi de sa tête. Il a même l'oeil acéré, la langue bien pendue, in petto et un sens de l'humour - noir, forcément.
Après un séjour à l'hôpital, Alfonse est ramené chez lui, où sa femme Clarisse s'occupe de lui. Cela fait quinze ans qu'ils sont mariés, et il ne l'aime plus. Il avait même une maîtresse, la jeune Lili, qu'il s'apprêtait à épouser après avoir demandé le divorce. Clarisse, qui l'ignorait jusque-là, va apprendre son infortune conjugale. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, elle se voit licenciée et finit par se suicider ! C'est alors Patrick, la seule famille d'Alfonse, qui va le récupérer. C'est son frère cadet, un voyou qui a fait de la prison, un ignoble alcoolo qui vit aux crochets d'Annabelle,; une artiste peintre issue d'une riche famille de Russes blancs. Comme elle l'a dans la peau, elle accepte tout de lui. Avec Alfonse, dont elle prend soin, une relation affectueuse se noue. Lorsqu'elle quittera son tortionnaire, elle l'emmènera avec elle. Ils vivront presque heureux, jusqu'à ce qu'elle s'amourache de Pierrick, un autre salaud...
Le roman de Chloé Schmitt est bref, mais les tribulations d'Alfonse auraient pu se prolonger. Repassé de mains en mains comme un encombrant, l'infirme se raconte dans un style très parlé, souvent cru, et avec une incroyable lucidité, dans ce que la romancière appelle son "journal de guerre ». Une guerre larvée, dont il sortira au final vainqueur, seul survivant dérisoire d'une humanité constituée d'affreux, sales et méchants. Les affreux, ou le premier roman pas banal d'une étudiante de 21 ans sacrément douée.