Ce vendredi 10 décembre, Mario Vargas Llosa va donc recevoir, à Stockholm, son prix Nobel de littérature. Mario Vargas Llosa ? « Un sectateur forcené », figurez-vous ! Comme c’est d’usage, la presse internationale a multiplié les portraits de l’écrivain, sitôt qu’a été connue sa récompense, le 7 octobre dernier. S’agissant de Vargas Llosa, nous n’avons pas seulement affaire, cette fois, à un pur littérateur. « Intellectuel de terrain », comme l’a décrit l’Express , Vargas Llosa a participé à mains combats politiques, et ses inclinations se sont déplacées, au fil des ans, de la gauche castriste, vers la droite libérale. Il a même été candidat, en 1990, à l’élection présidentielle du Pérou, où son programme s’inspirait du tatchérisme — il n’a jamais fait mystère de l’admiration qu’il portait à la Dame de fer. Et il a lui-même souligné que, dans son esprit, il n’était pas impossible qu’il ait reçu le Nobel autant pour ses qualités d’écrivain, que pour ses idées : « Si mes opinions politiques ont été prises en compte, eh bien ! à la bonne heure. Je m’en réjouis. » Fort de cette conviction, le Monde Diplomatique , sous la plume de son ancien directeur, Ignacio Ramonet, s’est fendu d’un portrait tout en nuances, à l’image de son titre : « Romancier flamboyant, doctrinaire convulsif ». La suite était de la même farine : oui, d’accord, le romancier a du talent, mais l’homme n’est qu’un « agitateur ultralibéral », qui répète « avec une insistance quasi fanatique les principes élémentaires de son idéologie ». Bref, « le masque séduisant de ses romans dissimule un sectateur forcené ». Et la chute du papier n’est pas mal non plus : citant Vargas Llosa, qui juge Céline « un romancier extraordinaire », mais « un personnage répugnant », Ramonet nous laisse entendre qu’il faut penser exactement la même chose du nouveau Nobel de littérature. Je continue, par grande faiblesse, d’être abonné au Monde Diplomatique , un journal qui naguère traitait de la politique internationale avec une mesure toute… diplomatique : la moindre brève aurait pu être signée d’un M. de Norpois devenu journaliste. Voilà déjà quelques années que cette componction n’est plus vraiment de mise : le Monde Diplo est devenu exactement ce qu’il dénonce chez Vargas Llosa : une feuille de chou… sectaire. On peut ne pas aimer les idées que professe Vargas Llosa, mais je préfère l’analyse plus équilibrée qu’en a donnée Jean Daniel dans l’Obs : « De la première partie de l'œuvre de Vargas Llosa, je dirais qu'elle est marquée par un marxisme révolutionnaire nuancé de romantisme et d'épopées lyriques. Cela a évidemment changé par la suite. (…) Mais les prises de position de Vargas Llosa ne sont que des péripéties spectaculaires. L'essentiel est ailleurs. Il a apporté à la littérature une dimension à la fois épique, concrète et familière de la vie. Son œuvre brille d'une clarté baroque mais aussi d'une dimension classique qui tient plus du classicisme français que de la tradition hispanique. » Et, dans El Païs , Juan Gabriel Vasquez (écrivain colombien, traduit au Seuil) remettait les pendules à l’heure : « Vargas Llosa fait partie des rares à avoir défendu les idées dont le meilleur de la gauche se réclame traditionnellement. (…) Il s’est opposé à toutes les formes d’autoritarisme, dans ses tribunes, ses essais, ses discours, il a défendu le droit à l’avortement, l’égalité pour les homosexuels, la légalisation des drogues, il a attaqué les nationalismes en tout genre et les entraves à la liberté individuelle … » Le dernier roman de Mario Vargas Llosa, El sueno del Celta (le rêve du Celte), paru à l’automne dans le monde hispanique, raconte la vie de Roger Casement, consul britannique en Afrique, qui fut le premier à dénoncer les atrocités du colonialisme d’extermination pratiqué au Congo, puis à s’intéresser au sort misérable fait aux Indiens de l’Amazonie péruvienne… Encore un doctrinaire convulsif…