Avant-critique Roman

Juan Marsé, "Heureuses nouvelles sur avions en papier" (Christian Bourgois)

Juan-Marsé - Photo © LM-Palomares

Juan Marsé, "Heureuses nouvelles sur avions en papier" (Christian Bourgois)

Fable poétique et baroque, Heureuses nouvelles sur avions en papier restitue dans toute son intensité romanesque le talent lyrique et tendre du regretté Juan Marsé.

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Par Olivier Mony
Créé le 14.02.2023 à 09h00

Doux oiseaux de jeunesse. La postérité ne ment pas. Elle sait que, plus encore peut-être que celles de ses compagnons barcelonais Manuel Vázquez Montalbán et Eduardo Mendoza, l'œuvre de Juan Marsé (1933-2020) est aujourd'hui considérée comme la plus essentielle de son temps dans le champ littéraire hispanophone. L'une des plus cohérentes aussi, recherche du temps perdu enfiévrée de poésie, de colère et d'une poignante nostalgie, comme dans ces absolus chefs-d'œuvre que sont L'obscure histoire de la cousine Montsé, Adieu la vie, adieu l'amour ou Teresa l'après-midi, (Christian Bourgois, 1989, 1992, 1993). Marsé est parti il y a deux ans donc, mais il ne nous laisse pas tout à fait inconsolé puisque voici que paraît Heureuses nouvelles sur avions en papier, son avant-dernier roman, mais l'ultime qu'il restait à traduire en français. Si l'on pouvait craindre une œuvre de la trop grande maturité, il n'en est rien, c'est un enchantement. De quoi est-il question ? Comme toujours, de l'éternel tourment de Marsé, Barcelone, terre d'exils et dernières marges... Soit dans les années 1980, d'un adolescent solitaire, renfermé, régi par ses désirs et ses blessures secrètes plus qu'il n'agit lui-même, Bruno. C'est le fils d'un couple issu de la mouvance hippie qui s'est rencontré par hasard et désœuvrement du côté d'Ibiza. Depuis, le père s'en est allé vers un destin triste de vagabond (ce qui humilie son fils qui n'en veut rien savoir) et la mère essaie comme elle peut de rattraper ces débuts indécis dans la vie. Dans l'immeuble barcelonais où il passe avec elle le temps qui ne passe pas, Bruno fait la connaissance de sa voisine, Mme Pauli, une vieille dame d'origine polonaise qui a fui le destin funeste que lui promettait le ghetto de Varsovie et qui a connu des jours meilleurs lorsqu'elle était l'une des plus belles danseuses de la capitale catalane. Mme Pauli demande à Bruno, durant ses vacances, de lui ramener le plus de journaux possibles, qu'elle transformera en avions en papier, sur lesquels elle écrit des messages pleins d'espoir avant de les lancer du haut de son balcon. Pourquoi fait-elle cela ? Perd-elle la tête ou au contraire, recouvre-t-elle la mémoire ?

Orphelins, enfants perdus emportés par le vent de l'Histoire comme les oiseaux dont s'entoure Mme Pauli, rêves déchus... ce court roman, cette novela de Marsé est une fable, un conte cruel et magnifique à la fois. Un somptueux baisser de rideau.

Juan Marsé
Heureuses nouvelles sur avions en papier Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu
Christian Bourgois
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 16,90 € ; 128 p.
ISBN: 9782267052312

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