« Je n'ai pas voulu écrire ce texte. Ce texte a eu lieu. Il s'est produit » avoue Junon, la narratrice d'Alphabet de Justine Bo. C'est un texte comme malgré elle, comme cette chose contre son gré : l'inceste. Ce que la bouche tait, le reste du corps se charge de le crier. Eczéma sévère, troubles visuels, troubles auditifs... Nulle langue pour l'énoncer, nul idiome dans lequel l'écrire, ce dernier des outrages, cet abus. C'est un blanc dans le film qu'elle se repasse. Le vide où elle ne cesse de chuter. « L'étranger peut-il l'inceste. » L'oncle Yórgos est « oncle par alliance, le mari d'Élisa, tante, sœur d'Esther, mariée à Joseph, mon père ».
Junon veut faire des films. Elle écrit des scénarios, jette des idées sur le papier, les biffe, les réécrit, imagine les plans mais un plan est manquant. Toujours. Une fillette de cinq ans nue dans la salle de bains. Le froid du carrelage. Les mains de Yórgos. Cut. Ellipse. Adulte, que faire ? « Attendre était, au fond, le seul acte. Je ne supportais plus le monde. Le monde ne me supportait plus. Nous avons amorcé tous deux le processus de mon éradication. » Vingt-sept ans plus tard. Elle en parle à ses parents. Cap vers l'ouest, direction le pavillon sur la côte atlantique, où vit Yórgos. Se confronter à lui. Elle, Sisyphe, face au monstrueux rocher. Ce face-à-face manquera-t-il de la broyer ? La confrontation se fera, mais il faudra remonter plus loin pour sonder le « hors-champ aveugle de l'inceste ». Inventer son propre alphabet pour retracer l'histoire de la violence qui coule dans les veines des deux côtés de sa parentèle, grecque, pied-noir- enfants de la guerre, du sang et de l'exil.
Alphabet
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 € ; 224 p.
ISBN: 9782246827108