Journaliste polonais, catholique, propriétaire d'une petite imprimerie, Kazimierz Sakowicz est, dès 1940, empêché de travailler et chassé par l'occupation soviétique de sa ville de Vilnius - rappelons que celle que l'on appelait la Jérusalem du Nord, en raison du nombre très important de Juifs qui y avaient trouvé asile durant des siècles, appartenait alors au territoire polonais. Il se réfugie dans le joli village de Ponary, où il possède une maison avec vue sur une grande clairière bordée de forêts, dans le plus bucolique et charmant paysage qui soit. C'est là que par un matin de juillet 1941, alors que son pays est désormais occupé par les forces nazies, il va assister stupéfait depuis sa fenêtre (et plus tard caché dans son grenier) au premier grand massacre par balles de Juifs, hommes et femmes de tous âges et toutes conditions, bientôt ensevelis dans de grandes fosses.
Ces crimes atroces qui vont devenir quotidiens sont orchestrés par les unités spéciales allemandes créées à cet effet, les Einsatzgruppen de sinistre mémoire. Or celles-ci se composant de 3 000 hommes en tout dans toute l'Europe de l'Est, le nombre de victimes juives - plus de 90 % de la population en Lituanie et pour le seul site de Ponary, 70 000 personnes (ainsi que 30 000 Russes, Polonais ou prisonniers politiques) - ne peut se comprendre qu'à l'aune de la participation massive et atrocement cupide des Lituaniens eux-mêmes. Ce furent eux les exécuteurs, volontaires souvent très jeunes, de 17 à 23 ans, participant ensuite aux « marchés » regroupant tous les effets prélevés sur les cadavres.
C'est cette horreur que consigne méticuleusement Sakowicz, cachant ensuite ses écrits dans des bouteilles de limonade qu'il enterre dans son jardin (il ne se faisait pas d'illusion sur son sort au cas où il viendrait à être pris) et qui seront pour partie miraculeusement retrouvées après la guerre. Il note : « Pour les Allemands, 300 Juifs représentant 300 ennemis de l'humanité. Pour les Lituaniens, 300 paires de chaussures et de pantalons. » C'est ainsi que ce Journal de Ponary 1941-1943, brillamment présenté et traduit par l'historienne Alexandra Laignel-Lavastine, est plus qu'un grand livre, un livre nécessaire à une meilleure connaissance de cette première Shoah qui, peut-être parce qu'elle ne concerna que l'Europe de l'Est, est parfois encore mal connue chez nous. Grâce soit rendue à Kazimierz Sakowicz. Un juste. Un juste parmi les monstres.
Journal de Ponary : 1941-1943 Texte présenté, annoté et traduit du polonais par Alexandra Laignel-Lavastine
Grasset
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19 € ; 320 p.
ISBN: 9782246820871