Dans la cuisine de sa maison londonienne, Kazuo Ishiguro écrit un courriel à un vieil ami vivant en Chine. Le téléphone sonne. C'est son agent, il est en train de regarder en direct l'annonce des jurés du prix Nobel : c'est en suédois mais il a l'impression d'avoir entendu le nom d'Ishiguro, il n'est pas sûr... Suit un autre appel du même acabit. Au troisième coup de fil, de la BBC, cette fois, qui lui demande un entretien, plus de doute : l'Académie suédoise a bien couronné l'auteur des Vestiges du jour. « J'ai repris la rédaction de mon mail, en sourit encore le lauréat, en concluant : "je crois que j'ai eu le Nobel". » C'était en 2017.
Klara et le soleil qui a paru au printemps outre-Manche sort à la rentrée en France. Le récit de Klara, l'« Amie Artificielle », l'éponyme jouet androïde, poursuit cette veine SF inaugurée par Auprès de moi toujours (éditions des Deux Terres, 2006), roman dystopique autour du clonage. Kazuo Ishiguro avait commencé cette neuvième œuvre de fiction mais a dû la mettre sur pause. Être récipiendaire de la prestigieuse médaille implique quelques obligations - un discours (plus un essai pour la postérité que de simples remerciements), un banquet présidé par le monarque suédois et autres politesses incontournables. Dans la foulée, la reine d'Angleterre l'anoblit. Il est désormais sir Kazuo. Mais peu lui chaut la mondanité, et l'écrivain britannique né à Nagasaki en 1954 n'est jamais aussi heureux que lorsqu'il retrouve sa bulle littéraire. Cette consécration lui fait certes quelque chose ; il faut dire qu'il avait cru déjà atteindre le sommet en décrochant le Booker Prize dès son troisième roman, Les vestiges du jour, qui fut porté à l'écran avec, dans le rôle phare du majordome, Anthony Hopkins. Terminé son job dans le social auprès des sans-abri : « J'avais 34 ans et ce prix signifiait que je pouvais me dédier entièrement à l'écriture. »
Rien ne se passe jamais comme prévu. Arrivé en Angleterre à l'âge de cinq ans et quoique parfaitement intégré dans la société anglaise des années 1960, ce fils d'océanographe nippon venu dans le comté de Surrey pour le travail, est élevé chez lui à la japonaise, parlant le japonais à la maison, prêt à retourner à tout moment avec sa famille dans l'archipel natal, comme n'importe quel expat. Au fil des ans le père voit sa bourse de recherche renouvelée, il ne repartira pas. Et Kazuo Ishiguro de devenir l'un des plus grands écrivains anglophones de sa génération. Pourtant il ne se rêvait pas auteur, longtemps il a ambitionné d'être musicien. Le folk, le jazz... Le jeune Ishiguro compose, chante, sous influence de ses héros musicaux - Bob Dylan, Leonard Cohen, Joni Mitchell. Voilà qu'il se colle à l'écriture tout en continuant à enregistrer des maquettes. « Les chansons m'ont appris à m'exprimerà la première personne, » explique-t-il. Le hasard toujours. « J'envoie en même temps une bande démo à une maison de disques et un manuscrit à Faber & Faber. C'est le roman qui a été pris. » Aujourd'hui, également scénariste (il est en ce moment sur une seconde version de Vivre de Kurosawa), il n'a pas complètement troqué la musique contre la fiction, il est le parolier de la chanteuse de jazz Stacey Kent. En recevant le Nobel de littérature, il succède à Bob Dylan. La boucle est bouclée.
Klara et le soleil Traduit de l'anglais par Anne Rabinovitch
Gallimard
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 22 € ; 384 p.
ISBN: 9782072909207