Né en 1967 à Tel-Aviv, Etgar Keret est l’un des représentants les plus talentueux d’une jeune littérature israélienne qui se déploie à travers un style vernaculaire mêlé d’ironie sagace. Génération qui a autant biberonné aux romans de Kurt Vonnegut qu’aux films des frères Coen (Keret a lui-même réalisé avec sa femme, Shira Geffen, Les méduses, caméra d’or à Cannes en 2007). Etgar Keret écrit en hébreu. Mais pas cette fois.
Ecrire est impudique. Du moins, dans sa langue. Aussi pour ce recueil de récits où il parle de ses proches a-t-il élu l’anglais. De son propre aveu : "Pour être honnête, rien n’a été ni véritablement rationnel ou prémédité, mais après des premiers jets en hébreu, y apporter des modifications, les éditer en anglais, m’a paru beaucoup plus simple parce que cela créait de la distance entre ma vie et ces textes : la distance de la langue." Sept années de bonheur est une espèce de journal de bord de l’écrivain qui débute à la naissance de son enfant et se termine à sa septième année - l’âge de raison ? - et l’année de la mort du père. C’est avec la fluidité de la chronique, le naturel propre à l’écriture au fil de la plume, que Keret raconte la venue au monde de son fils Lev, né dans le tohu-bohu d’un service hospitalier débordé par l’arrivée de victimes d’un attentat, ou la conversion de sa sœur aînée au hassidisme, le mouvement orthodoxe juif. Elle n’a pas épousé "un gros mec mou, suant et soufflant" ,mais elle a eu quand même onze enfants, bon, "tous plus mignons les uns que les autres"… Piquants portraits de famille : le père, la joue enflée à cause d’implants dentaires, se fait traiter par la mère de hamster ; l’épouse de l’auteur, trop fier d’exhiber sa carte Frequent Flyer Club Gold, lui dit bienvenue au club huppé des gens… "qui n’ont pas de vie". On rit avec l’auteur de sa propre paranoïa (justifiée, ses deux parents sont des survivants de la Shoah). Dans un restaurant bavarois, entendant "Juden raus" ("Les juifs dehors !"), il s’apprête à en coller une au type qui enrageait, en fait, contre ceux qui s’étaient garés trop près de sa voiture : "Jeden raus" ("Tout le monde dégage !"). On est touché par Keret qui se blesse en empêchant son fils de se cogner contre le rebord rouillé de la baignoire… Sept années de bonheur, que du bonheur. Sean J. Rose