Instantanés de Justice

La 17e Chambre au jour le jour

Dans les couloirs du palais de justice de Paris - Photo Olivier Dion

La 17e Chambre au jour le jour

La 17e chambre ne juge pas que les grandes affaire de presse et de liberté d'expression, elle traite également des « j’accuse » de ceux qui ne savent pas écrire, les « entre ici » de ceux qui ne savent pas penser, les « I have a dream » de ceux qui croient qu’une insulte vaut un argument. Reportage au cœur d'une journée ordinaire de la chambre.

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Par Vincent Ollivier
Créé le 01.07.2024 à 19h23

S’il est une chambre où la justice siège en majesté, entre gens de bonne compagnie, c’est bien la 17ème, celle qui juge ce qu’on appelle les délits de presse. C’est un nom prestigieux, qui convoque les mânes de Zola, de Londres et de Malraux.

Pourtant, les infractions jugées ici ne sont bien souvent que des propos fleuris balancés devant un écran bleuté, dans le confort d’une petite chambre, à l’aide de gros doigts maculés de miettes de chips. Ce sont les « j’accuse » de ceux qui ne savent pas écrire, les « entre ici » de ceux qui ne savent pas penser, les « I have a dream » de ceux qui croient qu’une insulte vaut un argument. Ceux qui comparaissent ici ne revendiquent d’ailleurs pas la flamboyance des comparants célèbres qui les y ont précédés.

L’on y observe bien davantage à quel point la sortie de l’anonymat très relatif que confèrent les réseaux sociaux lamine les vertueuses indignations qui avaient poussé le prévenu à laisser libre cours à son ire. C’est, devant ces juges calmes et propres sur eux, un défilé de mines contrites et de regards qui se lèvent vers le tribunal ou la partie civile pour aussitôt redescendre vers le sol, de propos balbutiants qui ont tous pour objectifs de battre maladroitement une coulpe déjà bien douloureuse.

Ils voudraient que l’on considère leurs menaces de mort comme des propos prononcés sous le coup de l’émotion

On n’avait pas conscience, on ne savait pas, on regrette, c’était pour plaisanter. Si quelques nuances séparent évidemment les déclarations des uns et des autres, celles-ci se rejoignent toutes dans l’affirmation implicite de l’irresponsabilité de l’humain placé derrière son ordinateur. Personne ne s’est rendu compte, personne ne pensait à mal. C’est un défilé de chasseurs qui nettoyaient leurs armes, dont le coup est parti, et qui regrettent, qui regrettent tellement.

Pour autant, s’ils se lamentent de se trouver là — sans doute davantage que d’avoir fait ce pourquoi ils y sont — ils déplorent aussi qu’on ne remette pas les choses en perspective, que l’on fasse abstraction du contexte, que l’on ne relativise pas un peu. Ils voudraient que l’on considère leurs menaces de mort, leurs appels au viol et leurs injures racistes comme des propos dénués de sérieux, prononcés sous le coup de l’émotion, que l’on prenne en considération leur être profond, humaniste et modéré, qu’on ne les juge pas sur ce qu’ils ont dit mais sur ce qu’ils sont, qu’on les envisage, eux, dans leur spécificité, qu’on devine, derrière le rideau d’ordures qu’ils ont tendu devant eux, le bon père de famille, le citoyen exemplaire, qu’on ne les confonde pas avec un délinquant ordinaire, qu’on les comprenne, bon sang.

Ils veulent bien que l’on jette l’eau du bain mais ils voudraient, tous ces bambins irresponsables, ne pas partir avec elle, échapper à l’égoût judiciaire. Au-dessus d’eux, les trois magistrats font tourner d’un index désabusé les pages du dossier qui s’étale devant eux.Tout cela n’est pas nouveau pour eux. Ils savent déjà ce que la bassesse humaine peut produire.

lls aiment sans doute leurs enfants. Ils ne sont pas dépourvus d’empathie

Ils en ont tant vu défiler de ces monstres virtuels, dépouillés de leur virulence par l’exposition, aussi désarmés par la comparution qu’un vampire aveuglé par la lumière, qu’ils ne prêtent plus guère attention à leurs excuses, qu’ils soupirent devant leurs explications, qu’ils sont devenus indifférents à leurs protestations. Ils ont conscience qu’il y a, dans ce qui se joue derrière un écran, les mêmes mécanismes que ceux à l’œuvre dans les lynchages, cette toute-puissance de la haine, ce courage qu’apporte la présence de la meute et cette impression de n’avoir à répondre de rien.

Ils savent que tous ces gens devant eux sont très ordinaires, qu’ils aiment sans doute leurs enfants ainsi que les animaux et qu’ils ne sont pas dépourvus d’empathie, du moins lorsqu’ils ne se trouvent pas, seuls, devant un clavier. Ils ont la certitude qu’ils n’ont pas devant eux des monstres, des êtres irrémédiablement en dehors de la société et que ce qui défile à leur barre, c’est le tout venant de l’humanité, leurs voisins, leurs collègues, ceux qu’ils croisent dans le métro. C’est sans doute ce qui leur fait le plus peur.

Vincent Ollivier

Olivier Dion - Vincent Ollivier

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